Rencontre avec Michael Cohen, comédien dans Bungalow 21
Merci beaucoup d'avoir accepté cette interview. Vous interprétez Yves Montand dans la pièce Bungalow 21 qui se joue au théâtre de la Madeleine actuellement. Est-ce que vous pouvez me raconter la genèse de ce projet ?
« En fait, le metteur en scène Jérémie Lippmann m’a envoyé la pièce en mars-avril dernier. Il avait sa Simone Signoret qui était Mathilde Seigner. Il n’avait pas encore ni Marilyn ni Arthur Miller, il cherchait son Yves Montand. J’ai lu la pièce, je l’ai adoré et j’ai adoré le personnage.
Du coup, on a fait plusieurs lectures parce que j'avais besoin de le convaincre, de le laisser me voir comme acteur, il m’avait repéré dans Elephant Man au théâtre, avec Béatrice Dalle. Mais bon, il avait besoin de savoir si j’étais capable de parler, d'incarner Montand, car c’est un personnage iconique qui reste marqué dans l'esprit des Français. Je savais que j'avais rendez-vous avec ce rôle et cette pièce. Avant même qu’il me le confirme, j'avais commencé à travailler le personnage, à apprendre le texte, à me plonger dans les archives de Montand. On m'a annoncé que c'était moi et j'étais très heureux. Entretemps, j’avais fait une lecture avec Mathilde puis Emmanuelle Seigner, on était les bons acteurs au bon endroit. »
D'ailleurs, comment s'est passée la rencontre avec les autres comédiens et comédiennes ?
« Simplement autour d'une table, autour d'une lecture. Cela a été une évidence. En fait, on se connaissait tous plus ou moins un peu, on fait ce métier plus entièrement en français. On s'était un peu croisés tous, mais on n'avait jamais travaillé ensemble et c'était assez émouvant. La première lecture que j'ai faite avec les deux sœurs, c'était la première fois qu'elles jouaient ensemble donc un moment particulier et émouvant. Elles étaient à la fois fébriles, heureuses, comme si elles se redécouvraient un peu toutes les deux. »
Est-ce qu'il y a un côté peut être intimidant de jouer avec les deux sœurs ?
« C'est intimidant au début, quand on fait des lectures, qu'on apprend à se connaître. Après ce qui est bien avec le théâtre, c'est qu'on a deux mois de répétitions. Très vite, on est dans le travail, dans le concret. Donc on n'a plus vraiment le temps d'être intimidé. On va aller au front, devoir être solides les uns avec les autres. C'est un danger relatif, mais on est quand même mis à nu et en fragilité pendant 1h30. On ne peut pas s'arrêter devant 700 personnes qui ont payé, qui attendent de ressentir des émotions, de vibrer, de voyager. Quand on est acteur, il y a quelque chose d'assez sacré et c'est un lien qui est très fort. Mais on est tous au même niveau en fait. »
Est ce qu'il y a toujours un petit trac à chaque fois, même quand ça fait longtemps que vous êtes sur scène, et vous êtes déjà passé devant la caméra ?
« Oui, bien sûr, parce que c'est toujours pareil. Le public n'est jamais le même. Les humeurs de chacun sont différentes. Aujourd'hui, on remet notre titre comme les sportifs tous les soirs. il y a des gens, des professionnels et des gens. Il y a des gens plus ou moins bienveillants, des gens qui ont envie d'aimer, puis des gens qui ont envie peut être de ne pas aimer. Moi, c'est ce que j'aime au théâtre : il n’y a pas une représentation que j'ai pas savouré, que je n'ai pas gagné, que je suis pas allée chercher jusqu'au bout. Notre métier est de chercher et trouver la vérité et donner l'impression au public de vivre quelque chose d'unique.
Le véritable trac, ce n'est pas d'oublier son texte parce que ça, on peut toujours se rattraper mais c’est penser à autre chose que ce qu'on est en train de vivre. n'est pas être dans la réalité, dans la vérité, la sincérité. »
C'est à dire ?
« Il faut faire l'équilibre entre le lâcher prise et la maîtrise, c'est une ligne tellement fine pour reproduire cet instant unique… Il n'y a pas de captation. On nous demande souvent comment on fait pour apprendre tout ce texte ? C'est vraiment pas le plus difficile… Le plus difficile, c'est d'arriver à retrouver la vérité tous les soirs de ce qu'on vit jusqu'au bout de ce qu'on ressent. »
Comment avez-vous préparé le rôle d'Yves Montand ? À partir d'archives ?
« J'ai commencé à le travailler quand j'étais petit, ce rôle, parce que je le connais depuis que je suis petit. Je vois ses films depuis l'âge de douze ans, surtout César et Rosalie que je vois tous les ans. César est très inspiré par la personnalité de Montant, comme l’a voulu Claude Sautet.
(…) En plus de travailler le texte, de l'intégrer, de le connaître au-delà du par cœur, de le connaître par corps dans ma chair, dans mes tripes, dans mes veines, il faut que je n'ai plus à penser au texte. Ensuite, j'ai bien sûr revu beaucoup d'archives, les films, les interviews, revues et spectacles. Je suis allée poser des questions à plein de gens qu'il avait connus, mais en même temps, je ne voulais pas l’imiter et pouvoir apporter des choses personnelles. Cela a été moitié-moitié (…) En tout cas, sur ce spectacle, c'est ma vision et mon interprétation de (Yves) Montant ».
Quel regard vous portez sur lui et sur le couple qu’il formait avec Simone Signoret ?
« Moi, je le vois comme un enfant blessé et en même temps un homme très solide. C'est un fils de paysan italien dont la famille a fui le fascisme, lui avec dans les années 30, et ils se sont retrouvés à Marseille, très pauvre mais travaillé comme docker. C'est quelqu'un qui a connu la faim, qui avait au fond de lui une envie d'être dans la lumière, d'être aimé. Il allait s'évader beaucoup grâce au cinéma, grâce à Fred Astaire. Ce n'était pas un grand chanteur, pas un grand danseur, pas un grand acteur. Il a beaucoup travaillé avec une volonté de se sortir de cette misère et d'être aimé. Il avait cette chose qu'ont souvent les artistes : une enfance un peu chaotique, un peu abîmée et qui essaye par ce métier artistique de réparer certaines choses.
Voilà, il avait un coeur d'enfant, ce qui lui donne ses colères, sa mauvaise foi, son humour, sa tendresse, son amour pour sa femme. Toutes ces choses-là, on les voit vraiment particulièrement bien dans César et Rosalie. A un moment donné, il est engagé pour tourner à Hollywood avec Marilyn Monroe, qui est la plus grande star mondiale. Ce petit garçon a été biberonné au film américain. Tout à coup, il traverse l'écran et on l'amène dedans dans l'écran, avec les plus grands studios, les plus grands réalisateurs. Et au même moment, sa femme Simone Signoret obtient un Oscar avant qu’il arrive à Hollywood. Ils sont fous amoureux et au sommet de leur carrière en même temps et au même endroit. Je crois qu'il n’y a même pas d'équivalent en France. Même Marion Cotillard et Guillaume Canet n'ont pas connu une telle force, synchronicité dans leur carrière. Même chose avec Monica Bellucci et Vincent Cassel.
Ils sont au sommet lors de leur couple et de leur travail. Après on peut que dégringoler, il va y avoir cette histoire avec Marilyn Monroe. Cela fait beaucoup de mal à Simone parce que non seulement son mari la trompe, en plus c'est un scandale mondial. En plus, pendant ces trois mois, vous avez été dans ce bungalow avec Marilyn et Arthur Miller, donc les deux femmes avaient lié une amitié, presque comme deux sœurs… C'est encore une trahison, Malgré tout, ils ne se sont pas séparés parce que tout ce qu'ils avaient aussi l'amour a été plus fort que ça. Ils étaient comme comme deux partenaires, comme nous et ce ne sont pas la main. »
Après dans César et Rosalie, le personnage de César peut être par moments assez possessif, comme il peut l'être avec Signoret sur scène. L’image qu’a Yves Montand reste celle d’un coureur de jupons. Benjamin Castaldi avait lui-même dépeint dans une des biographies, une autre image de lui, avec des côtés plus sombres…
« C'était un homme à femmes, qui avait besoin d’être aimé. Il pouvait avoir ses colères, Benjamin Castaldi disait justement qu’elles ne duraient que 30 secondes, puis ça se transformait en éclats de rire puis en un moment de tendresse, il était irrésistible. (…) Je ne connais personne autour de moi qui n'a pas de défauts ici. Si vous connaissez des gens qui ont que des qualités, présentez-les moi ! Je ne connais que des gens qui ont des défauts plus ou moins grands et des qualités plus grandes. Et on aime ces gens en fonction de ce mélange-là. Oui, il avait des défauts, mais il était très aimé.
Par exemple, Marilyn Monroe était folle de lui. Elle voulait vivre avec lui, qu’il quitte tout. Il a fait partie de ses plus grands chagrins et de ce qui l’a amené à se détruire puisqu’elle est morte deux ans plus tard. Dans les enregistrements qu'on a avec son psy, elle parle d’une grande déchirure ; Montant représentait une forme de père de substitution. Elle a passé son temps à chercher des pères ou des familles de substitution. Marilyn a mis du temps avant d'arrêter de les appeler tout le temps et Simone Signoret raccrochait. »
Et si on revient à vous, d'où est venue cette envie de théâtre ? C'était une évidence dès le début ?
« Oui, oui, c’est une sorte d’illumination, un peu comme quand quelqu'un décide de rentrer dans les ordres. À douze-treize ans, j'ai su que je voulais faire ce métier. Pourtant, j’étais pas prédisposé à ça, personne de ma famille était de ce milieu et j’habitais en banlieue. J'adorais le cinéma, mais je ne connaissais pas très bien le théâtre. C'était mon échappatoire pour vivre autre chose car je n’aimais pas ma vie, ni mon environnement. Je ne me sentais pas bien dans ma peau. Tout à coup, j'ai senti que c'était ça qui allait peut-être vous sauver la vie.
Et donc, à quinze ans, j'ai mis un pied au cours Florent à pied, sur une scène et sur la scène du cours Florent, j'ai compris que c'est effectivement ça qui allait être magique. Cela ne m’a jamais quitté. J'ai encore aujourd'hui, 35 ans plus tard, la même passion, la même émotion, le même plaisir d'être sur scène. J'en reviens toujours pas de faire ce métier, je suis toujours aussi étonné. Quand j'ai commencé le cours de théâtre à quinze ans puis je suis resté cinq ans au Cours Florent, j'ai fait la classique, j'ai lu toutes les pièces de théâtre. De là, j'ai appris le monde, la vie à travers le théâtre, à travers les pièces françaises et étrangères, les classiques, les modernes. Je me suis nourrissais et emballé. Aujourd'hui, je suis encore, je suis encore dedans et ça se voit. »
Quand vous dites que vous aviez lu toutes les pièces de théâtre, est ce qu'il y a eu une pièce qui a été un peu la révélation au tout début pour vous ?
« Tchekov m'a appris plein de choses sur la vie, sur les rapports humains, notamment La Mouette, qui a été très importante. Je pourrais citer Molière aussi et le Misanthrope. Chaque pièce que j'ai aimé, a changé quelque chose en moi, m’a appris sur les rapports entre les êtres.
Pour cela d'ailleurs que même, j'ai eu envie aussi d'écrire très vite des scénarios, des ébauches de pièces parce que d’abord, je ne voulais pas attendre qu’on vienne me chercher. Je me suis mis sur des projets de théâtre, puis après des romans et des scénarios, des films… Cet amour du théâtre m’a donné l'envie de témoigner, aussi, de raconter ce qui se passe, notamment dans les couples. Moi, ce qui m'intéresse surtout, c'est le rapport à l'autre, que ce soit entre deux amoureux ou deux amis. »
Le théâtre permet de mieux nous comprendre…
« Oui, je pense. Ça, ça raconte l'intérieur de la chair et de l’âme, ça dissèque. C'est ce qu'on faisait avant dans les écoles avant avec les grenouilles. Ici, on le fait sans faire de mal à un animal, à part l’homme. »
Et quels ont été vos dernières découvertes scéniques ? Est-ce que vous avez eu des coups de cœur dernièrement ? ?
« Je trouve que je suis très chanceux qu'on joue cette rentrée théâtrale. (…) Depuis le Covid, ça avait du mal à redémarrer et les rentrées étaient frileuses. Beaucoup de choses me donnent envie : je suis allée voir Vidéo Club (au théâtre Antoine) de Sébastien Thierry avec Noémie Lvovsky et c’est une vision intérieure à la plasticité formidable. Il y a aussi Un Léger doute de Stéphane de Groodt. Après, j’ai envie de voir Vincent Dedienne et Sophie Marceau. Avec cette offre de spectacles, ça donne aux gens l’envie de retourner au théâtre ; plus il y a un choix riche, plus cela encourage les gens à y retourner. Je suis très heureux de faire partie de cette rentrée théâtrale avec, avec tous ces grands artistes et ces grandes pièces qui jouent en ce moment. Toutes ces pièces vont partir en tournée l'année prochaine, donc en plus, après, ça pourra être, on jouera, on en fera profiter aussi la province »
Est-ce que vous avez un rituel avant de monter sur scène ?
« Je bois un petit verre de whisky ! »
Comme Yves Montand qui obtient un peu le rôle de ses rêves avec le Milliardaire, est ce que vous avez un projet rêvé ou un rôle rêvé ?
« Je ne vous cache pas qu’il y a beaucoup de projets de films dans les tuyaux en ce moment sur la vie de Signoret et de Montand. Pour le coup, je me sens prêt et solide pour jouer Montand, ne pas lâcher le personnage tout de suite. »
Credit photo : Julien Bachelet
Interview réalisée le 27 octobre 2023
Jade SAUVANET