La beauté sauvera le monde : une touchante Barbara Castin qui plante des graines dans nos consciences - Théâtre Essaïon (Paris)
« La beauté ne sauvera le monde que si, au lieu de lui être imposée du dehors, elle jaillit de ce monde même. » lance Dostoïeski dans L’idiot. Une beauté des mots, des gestes qui devient créatrice d’actions plus grandioses ou déterminantes. N’est pas utopique ? « utopique oui, mais seulement si on entend le mot “beau” dans le sens “joli”. » répond Barbara Castin dans Kaïzen. « Le mot “beauté” (…) peut être un vrai moteur (et) mon engagement en faveur de l’écologie, c’est ça : j’aime la nature, j’aime ses beautés, c’est pour ça que j’ai envie de les préserver. » Or cette nature est en péril, comme le rappelle l’affiche une abeille morte ci-dessus.
Célébrer l’utopie, hors de toutes accusations négatives et vaines, pour retrouver l’essentiel dans la lutte écologiste, c’est le projet de Barbara Castin et Pierre Boucard. Leur chemin se sont croisés sur les planches de Le Paquebot Tenacity et Les nuits de la colère, toutes deux créées par The Big Cat Company, la compagnie de Pierre. Au-delà des discussions leur entourage, le projet s’est nourri grâce à un constat : celui du fossé générationnel sur les problématiques écologiques, « trop clivantes ». Rembobinons le décor…
Dans le clair-obscur, une femme, Meth, apparaît portant sur son dos des livres et dans ses bras, un enfant. Elle le berce doucement, tendrement, mais rien à faire : il ne veut pas dormir. Alors, elle lui raconte une histoire, celle de la Terre d’«avant». Avant quoi ? On ne le sait pas exactement mais une chose est sûre : le visage de notre planète n’est plus celui que Meth a connu. Cet enfant, enfin plutôt le désir d’enfant est le point initial de ce spectacle : comment envisager de faire un enfant dans un monde où l’avenir n’est plus garanti, où on prédit l’effondrement ?
Elle raconte le « monde d’avant » en puisant dans ses livres et dans ses souvenirs, son ancienne vie de scientifique engagée. Meth se confrontait à l’incompréhension de certains politiques, de sa famille, à la solitude et à la rage. La Terre « d’avant », elle la connaissait bien. Elle a tout fait pour la préserver.
Aujourd’hui, la jeune mère continue de la faire vivre à travers les écrits du cinéaste Jean Giono ou encore de la biologiste Rachel Carson : « Vouloir « corriger la nature » est une arrogante prétention, née des insuffisances d’une biologie et d’une philosophie qui en sont encore à l’âge de Neandertal » (Printemps silencieux, 1962-1963).
Au-delà des réflexions sur les mondes d’avant et d’après, des thématiques actuelles nous interpellent : les difficultés de la recherche pour les ingénieurs et scientifiques qui doivent modérer leur parole pour obtenir les fonds, les relations entre expert.e.s et médias qui penchent entre nécessité de pédagogie et impuissance. Un sentiment qui peut mener jusqu’au burn-out : Militer pour le climat, «c’est parfait pour faire un burn-out» et «être angoissé au quotidien» déclarait le militant Cyril Dion.
C’est ce qu’a pu vivre le climatologue Christophe Cassou qui a vécu une grosse perte de sens avant d’être retenu comme auteur principal pour le GIEC : « Être dans l’action et le collectif est sa façon de gérer son « éco-lucidité » et son éco-anxiété » comme le décrit Ouest-France. Des scientifiques comme lui ou Valérie Masso-Delmotte ou François Gemmene alertent depuis des années sur la gravité du dérèglement climatique et de leur point de vue les réponses du gouvernement ne sont pas du tout à la mesure de la situation. Ce qui conduit des citoyens à utiliser d’autres modes d’interpellation et la désobéissance civile, pour agir face au risque d’effrondrement théorisé par Aurélien Barrau. Lui-même qui appelle à une révolution politique et philosophique.
Sur scène, Pierre Boucard livre un décor sobre avec blocs de terre ou de glace qui se muent en porte-manteaux et tribunes pour Meth la scientifique. De cette sobriété, en ressort la volonté de mettre en valeur la profondeur de Meth et surtout, ses mots portés par une Barbara Castin touchante. Cette pièce se veut être un électrochoc sur la chute et de la disparition des pollinisateurs et le pari est plutôt réussi : en puisant dans les pensées des auteurs.rices fondateur.rice.s de l’écologisme, elle nous rappelle que nous avons des clés en main pour se mobiliser.
Elle est aussi l’illustration d’un théâtre militant (là aussi un mot à vider de ses connotations négatives) par la portée de ses émotions qui en deviennent politiques : « J’aime le théâtre parce que c’est une force collective. » déclarait la comédienne dans Kaïzen.
Barbara Castin nous livre un texte puissant poétique, une ode au vivant menacé dans ce « monde d’après ». Derrière cette déclaration d’amour à ses émotions et de reconnexion à la Terre, une ènième sonnette d’alarme est tirée et elle est à découvrir jusqu’au 19 mars prochain… Et plus tard à Avignon qui sait !
Jade SAUVANET
Crédits photos : Violette Graveline
La beauté sauvera le monde,
Écrit et interprété par Barbara Castin
Mis en scène par Pierre Boucard.
Théâtre de l’Essaïon (Paris 4e)
Jusqu’au 19 mars.
Lundi et mardi à 21h
Théâtre - L'histoire poignante d'une femme qui voulait préserver la vie pour pouvoir la donner.
https://www.essaion-theatre.com/spectacle/1046_la-beaute-sauvera-le-monde.html