Prima Facie : A première vue, quelle parole pour Elodie Navarre ? - Théâtre du Petit-Montparnasse (Paris)
Notre dernier passage au théâtre du Petit Montparnasse portait sur le destin de Mata Hari scellée par la justice des hommes au 20èm esiècle.
Dans Prima Facie, la justice est de nouveau au cœur de l’intrigue. La pièce de la dramaturge australo-britannique Suzie Miller avait constitué un évènement majeur au Royaume-Uni, multi-récompensée et confiée à Jodie Comer, star de Killing Eve. La voilà en France pour une première fois, merveilleusement adaptée par Dominique Hollier et Séverine Magois
Comment prouver le « vague » consentement face au droit rectiligne ? Suzie Miller se penche sur son passé d’avocate pénaliste avec Tessa, une jeune femme issue du Liverpool ouvrier qui exerce désormais dans un grand cabinet londonien. Cette ténor du barreau devient la meilleure dans un type d’affaires, celui de la défense d’hommes accusés de viol et d’agression sexuelles. Tessa jette une pièce dans le vide. Pile.
Elle connaît la loi et les procédures par cœur, si bien qu’elle défend la meilleure version de ses clients, pourtant coupables et décrédibilise la parole des victimes. Les ficelles de la machine judiciaire sont maniées avec stratégie. Puis le côté face de la pièce apparaît : un soir, elle est victime de viol par un de ses collègues. Tessa se sait condamnée à vie par ce système judiciaire qui écrase la parole des victimes.
Un système qui s’attache au simple flou, reflet d’une amnésie traumatique que le juré n’entend pas. Mais elle veut aller jusqu’au bout, pour « faire bouger les choses ».
Tessa se lance sur le ring des plaidoiries en première partie pour finir le dernier round, combattive face à la défense de son violeur. Une force d’interprétation servie par une Elodie Navarre plus qu’exceptionnelle avec rage et tactique. Quant à l’excellente mise en scène, Géraldine Martineau joue le basculement avec une pièce centrale, un double miroir-boîte noire dans lequel le regard de Tessa s’efface. Il nous pose, spectateur.rices, à la place du jury qui ne peut baisser les yeux.
Quelques heures après avoir été violé, l’avocate décide d’aller porter plainte. La sidération est encore présente. Au commissariat dont elle a passé les portes une centaine de fois, sa robe d’avocate tombe et avec cela, son crédit. Un crédit remis en cause par une écoute des policiers inexistante. En octobre 2021, en France, la militante Anna Toumazoff et la journaliste Constance Vilanova lance le hashtag #DoublePeine pour raconter la prise en charge désagréable voire traumatisante que les victimes de violences sexuelles ont connue de la part des forces de l'ordre : "Comment étiez vous habillée ? Pantalon, jupe ?", "Est-ce que vous avez mouillé ? Vous avez eu du plaisir ou ça vous a fait mal ?". Une parole qui corrobore avec l’enquête du collectif NousToutes qui montre que 66% des répondantes font état d’une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre lorsqu’elles ont voulu porter plainte pour des faits de violences sexuelles.
« Les conditions dans lesquelles un système judiciaire accueille les plaintes pour viols et agressions sexuelles sont une mesure de la place accordée aux femmes et à leur liberté au sein d’une société » écrivait Agathe Cagé dans Le Grand Continent. À aucun moment ne sont reconnus ou évoqués par les services de police ou la Cour les mécanismes de protection du cerveau face au traumatisme du viol. Prima Facie interroge les fondements du système judiciaire britannique, les places inégales qu’on accorde à la parole de la victime à qui impute la charge de la preuve dans le système français. La qualification juridique du consentement dépasse les frontières.
La Suède a été un pays pionnier en 2018 en ce domaine, avec une loi qui établit que tout acte sexuel accompli sans expression d’un accord explicite est un viol. Elle permet à la victime d’un viol de n’avoir plus à prouver qu’il y a eu menaces ou violences. L’Espagne a suivi en 2022 avec la « ley del ‘solo sí es sí’ » (seul un oui est un oui) suite à l’affaire de « La Meute ». Le droit français s’inscrit en défaut. Y-aura-t-il un changement suite à la déclaration d’Emmanuel Macron le 13 mars dernier sur son intention d’inscrire dans le droit français la notion de consentement en matière de viol ?
Prima Facie se ressent comme une grande claque qu’on se prend dans la figure, si bien qu’il est impossible de lâcher un mot, un son sur le retour. La violence est frontale (et nécessaire à mon sens), mais il est entendable que certains publics souhaiteraient un trigger warning, autrement dit un avertissement prévenant que le contenu de la pièce réactive des douleurs dans la salle.
Crédits photos : Fabienne Rappeneau
Prima Facie
Écrit par Suzie MILLER
Traduit par Dominique HOLLIER et Séverine MAGOIS
Mise en scène par Géraldine MARTINEAU
avec Elodie NAVARRE
Jusqu’au 4 mai
du mardi au samedi à 21h – matinée samedi à 16h30
Petit Montparnasse (Paris 14e)