Des gens comme eux au théâtre du Point du Jour (Lyon): un drame terriblement humain
Je ne comprenais pas ce qui t’arrivait. Tu étais comme un collégien empêtré et sot qui n’a aucune conscience des répercussions catastrophiques qu’une attitude aussi irresponsable risquait d’entraîner. Tout concourait à l’image néfaste que tu renvoyais : ton comportement déroutant, ton refus suicidaire de collaboration, l’obstination de l’avocat général à vouloir t’éloigner de la société des hommes pour faire de toi un monstre. Tu sombrais lamentablement sans même te débattre.
Actuellement à voir au théâtre du point du jour, des gens comme eux, une formidable pièce à ne pas rater.
A la demande du co-directeur du Théâtre du Point du Jour et metteur en scène Éric Massé, la comédienne et romancière Samira Sedira a adapté pour le théâtre son propre roman inspiré de la tuerie du Grand-Bornand. ,
De ce fait divers, qui comme tous les grands faits divers raconte tout de l'époque , Éric Guirado a tiré un film Possessions (sorti en 2011), avec Jérémie Renier, Julie Depardieu, Lucien Jean-Baptiste et Alexandra Lamy dans les rôles principaux.
Le film était pas mal du tout mais la pièce est encore plusieurs coudées au dessus :
Dans ce qui est de loin la meilleure pièce vu dans un théâtre lyonnais en cette rentrée, Samira Sedira adapte ici son roman Des gens comme eux (paru aux éditions du Rouergue en 2020) inspiré d’un fait divers : l’affaire Flactif, appelée aussi la tuerie du Grand Bornand, qui a défrayé la chronique en 2003.
Pour ceux qui ne s'en souviennent plus, ou qui l'ignorent totalement, sous ce nom de "l'affaire Flactif" se cache une affaire criminelle française qui a défrayé la chronique en 2003, à la suite des meurtres d'un promoteur immobilier, de sa femme et leurs trois enfants âgés de sept à dix ans, au Grand-Bornand en Haute-Savoie.
Parmi les faits divers de la décennie 2000, celui ci (avec justement l'affaire Ilan Halimi) fut un des plus car il différait quelque peu des affaires criminelles traditionnelles. Ici, pas d'histoire de tromperie ou de règlements de comptes, mais un immense sentiment de convoitise et de frustration qui amène un homme, sous le joug de sa compagne, à assassiner toute une famille bien mieux lotie financièrement et socialement parlant.
Rarement un faits divers aura autant soulevé de questionnements sur les différences sociales, et beaucoup d'observateurs avaient alors trouvé dans cette affaire criminelle le symbole des dérives de notre société de consommation.
Le vrai mobile du meurtre est effectivement à rechercher du côté de l'abondance de richesses que la victime affichait de façon ostentatoire à son meurtrier, qui avait ainsi le sentiment de se sentir humilié par cette différence de biens.
Inspiré de faits réels, le meurtre en 2003 au Grand-Bornand des cinq membres (parents + 3 enfants de la famille Flactif), Samira Sedira retrace les faits afin de tenter de comprendre ce qui a conduit Constant, ce père de famille, voisin de cette famille, à passer à l'acte, avec une violence inouïe et se retrouver derrière les barreaux à perpétuité.
C'est à Anna, sa femme, que l'auteure donne la parole, celle qui est sensée la mieux placée pour expliquer et analyser et en nous invitant au procès de cet homme que rien ne prédestinait à se retrouver dans le box des accusés.
Éric Massé porte au plateau les différentes étapes de cette véritable descente aux enfers.Belle idée de mise en scène: l'action de la pièce se noue et se dénoue autour d'événement a priori festifs: une fête de mariage, une fête foraine, un réveillon de Noël, toutes ces situations qui vont déraper, au travers d'un mot d'un geste, pour servir de toile de fond qui achevera ce terrible vacarme par " un interminable silence d'hiver"
Racisme (Bakary Langlois était noir), vengeance, rancune, jalousie, pas à pas Samira Sedira prospecte toutes les pistes.
Elle nous plonge dans ce village où tout le monde se connaît et se ressemble jusqu'à l'arrivée de cette famille, qui détonne dans le paysage : grosses voitures, grand train de vie et une image du bonheur qui pourrait bien intriguer et devenir suspecte. comptoirs, les ragots...
De plus, ce roman pose une problématique forte et morale. Qu'est ce qui nous pousse au meurtre ? Un homme "normal" peut-il tuer ?
Au delà d'une réflexion sur le racisme, ce roman met en avant les différences de classes et la violence que peut engendrer le sentiment d'injustice sociale
.Evoquer le racisme comme motif du crime est un faux motif car pas grand chose dans la pièce n'est apporté pour alimenter cette hypothèse : finalement tout tient dans le titre de la pièce: ce sont des gens comme eux, comme nous, tout peut basculer parce que trop d'envie, trop d'humiliations, trop de rancunes. enfouies....
Une pièce formidable qui raconte un drame terriblement humain, qui fait réfléchir sur ces choses qu' on traîne, dont on devrait parler, sur les colères cachées qui hachent le coeur d un homme...et de sa femme, meurtrie à jamais .
N'attendez pas forcément de réponses toutes faites aux nombreuses questions sur les raisons d'un tel crime, l'auteure se contente de retracer les faits, de cette amitié rapide qui se transforme, d'après elle, au fil du temps en un rapport de où force et peut etre le désir de leur ressembler va transformer un homme a priori ordinaire en assassin de sang froid.
La mise en scène est vraiment d'une belle fluidité et les changements de lieux sont les véritables pièces d’un grand puzzle qui ne s'assemblera qu'à la toute fin.
Un drame terriblement humain tant on s'attache au personnage d'Anna, (étonnante Laure Barida mais tous les autres comédiens sont aussi formidables qu'elle), femme dévouée et fidèle qui tentera jusqu'au bout de comprendre l'incompréhensible.
Transformer le fait divers en fable sociétale : c’est le pari réussi de l’autrice Samira Sedira et du metteur en scène Éric Massé avec cette adaptation en tous points saisissante |
Des gens comme eux, adapté de son roman par Samira Sedira
Théâtre du Point du Jour
7 rue des Aqueducs
69005 Lyon
Création du 3 au 11 octobre 2024
Durée 1h55
Mise en scène d’Éric Massé
DES GENS COMME EUX - Saison - Théâtre du Point du Jour
laquo; Samira Sedira s’est emparée de ce fait divers en le romançant et le résultat est magistral. » Libération