Les Deux déesses : Mère et fille contre le reste du monde – Théâtre Gérard Philippe (Saint-Denis)
19h20, une foule s’agglutine dans le théâtre aux lettres scintillantes de rouge. Une main invisible accompagne le mouvement ; serait-ce celle du froid glacial ou celle des déesses et dieux de l’Olympe installé.es sur la scène, sur leur piédestal olympique ? Ce dernier tombe lorsque l’une d’entre eux.elles décide de s’en échapper, rayant toute image idyllique des puissants et brisant quelques tabous au passage. Ici, Pauline Sales s’empare du mythe de Déméter et Perséphone, retraversé par les époques et réancré dans le réel par diverses intellectuelles américaines, pour ne citer la poétesse et essayiste Adrienne Rich ou l’écrivaine écoféministe Starhawk.
Le premier tableau s’ouvre sur Déméter, 15 ans, déesse de la Terre et du vivant, profitant de la richesse de son environnement aux côtés de ses frères. La mer est chaude, Poséidon se targue de ses succès, un moyen pour lui d’exprimer un désir incestueux envers sa sœur. L’adolescente le repousse et accourt Zeus, son autre frère tout puissant, persuadée que les mers seront punis. C’est l’inverse qui se produit, Zeus la viole, rajoutant une énième pierre aux climat incestueux de cette famille. Déméter s’enfuit sur Terre pour une autre vie bien plus précaire. Entretemps, elle accouche d’une fille prénommée Koré et d’un savoir-faire divin, qu’elle ignorait jusque maintenant : rendre les terres fertiles et les céréales abodantes. Elle cultive son monde sur une île, dans une communauté partagée où liens et sol prospèrent. Les années passent, Koré prend le rôle d’adolescente affirmée. Le portrait craché de sa mère, certains diraient mais cette dernière souhaite construire son propre portrait. Elle part camper avec des amis lors d’un voyage scolaire. La tragédie grecque refait surface avec sa soi-disant destinée fatale : la fille de Déméter est kidnappée et violée par son oncle Hadès, emmenée dans les enfers aux côtés des morts. Sa mère sombre dans la douleur, remue toute la terre et crie son désespoir au ciel, fracturant sols et blés. Les Dieux ne perçoivent plus leurs offrandes et décide, derrière Zeus, de trouver un terrain d’entente : Koré désormais Perséphone restera sous terre quatre mois par an et reviendra près de sa mère les autres huit mois. Les saisons sont nées de cette histoire.
Cette histoire, elle nous l’est pas racontée par hasard : sur ce même tableau, apparaît une femme âgée fixée à son fauteuil roulant, au regard qui traduit une vie débordante de souvenirs. Les quelques notes de musique la replongent dans son adolescence. Cette femme n’est autre que Déméter qui a accepté la mortalité, au chevet de la vie fructueuse et malheureuse. Elle se remémore les danses qu’elle adorait au pied de l’olivier avec ses camarades de l’île. Cette perspective nous transporte de l’intime jusqu’à l’universalité des craintes d’abandon et de la mort, des craintes que sa fille a réussi à apaiser avec le temps. Car vivre, c’est accepter la mort. La relation mère-fille, de filiation, est centrale ; cette dernière grandit et la première doit accepter de ne plus en faire le centre de son existence. Ce conte les lie d’autant face aux violences liées à leur genre, des femmes enfermées dans une société de dieux rongée par la culture de l’inceste et effrayées par les mères solo. Elles n’en parlent pas entre elles mais le savent. Le mythe file la métaphore écologique : Déméter est détentrice du bien de la Terre et du vivant. La maladie qui ressort de sa douleur s’inscrit dans un contexte de guerre où les pays se disputent le grain, à coups de barrières (ce qui fait penser à la guerre en Ukraine).
Pauline Sales nous livre une flamboyante réécriture du mythe de Déméter et Perséphone, mère et fille combatives et résilientes face aux violences, s’élevant l’une et l’autre. L’esprit de troupe illumine la salle par une belle distribution, pour ne citer que la délirante Élizabeth Mazev et les comédien.nes-musicien.nes qui nous font éclater de rire en morts en combinaison de tissu. Nous voilà embarqué.es dans une fable très ancrée dans le réel, avec un coup d’œil et de réflexion sur le réchauffement climatique et le vivant, racontant les doutes existentiels et aux décalages surprenants que le musical laisse entrer. C’est doux par le phrasé et la poésie de Pauline Sales, exaltant comme un concert de rock et envoûtant comme une histoire qui ne se finit jamais ! C’est une véritable ode, une déclaration d’amour à la relation mère-fille, à toutes les mères, au-delà du lien de sang : on a envie de les serrer fort dans nos bras à la sortie !
Crédits photos : Jean-Louis Fernandez
Les Deux Déesses – Déméter et Perséphone, une histoire de mère et fille
Écrite et mis en scène par Pauline Sales
Interprété par Mélissa Acchiardi (batterie, percussions), Clémentine Allain, Antoine Courvoisier (clavier), Nicolas Frache (guitare), Aëla Gourvennec (violoncelle), Claude Lastère, Élizabeth Mazev, Anthony Poupard
1h50
Du lundi au vendredi à 19h30 / samedi à 17h / dimanche à 15h
Jusqu’au 1er décembre
Théâtre Gérard Philippe (Saint-Denis)
En tournée :
-Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge
le 17 décembre
-Théâtre Jacques Carat, Cachan
le 19 décembre
-L’Estive, Scène nationale de Foix et de l’Ariège
le 14 janvier 2025
-MC2: Maison de la Culture de Grenoble, Scène nationale
les 5 et 6 février
Jade SAUVANET