Baz'art  : Des films, des livres...
6 février 2025

BRÛLE LE SANG : Interview du réalisateur Akaki Popkhadze

Brûle le sang du franco géorgien Akaki Popkhadze est sorti il y a maintenant deux semaines.

On l'a énormément aimé, mais malheureusement, dans le flux des sorties hebdomadaires, il n'a pas forcément trouvé la place qu'il méritait. ( 24 000 entrées la première semaine, pour un fin de carrière proche des 50 000).

Son réalisateur nous a contacté pour échanger autour de son film. C est si rare que cela fonctionne dans ce sens qu'on a pu que répondre favorablement à sa demande.

Assurément, on ne l'a pas regretté tant Akaki Popkhadze  avait envie de défendre son projet bec et ongles :

 

Brule le sang  est  à l'affiche des salles depuis le 22 janvier. Dans quel état d'esprit étiez- vous lors de la sortie de votre premier long métrage, forcément un moment à part dans la vie  d'un réalisateur. 
Est-ce que vous envisagez ce film comme l'accomplissement de quelque chose, après avoir réalisé plusieurs courts métrages ou vous l' envisagez plutôt comme  la première étape d'un long parcours à venir dans le cinéma?

 

Les deux je dirai ! C’est l’accomplissement d’une très grande envie de cinéma. D’une très grande envie de passer dans la cour des grands si je puis dire. C’est également j’espère le début d’une aventure dans laquelle je pourrai m’épanouir en tant qu’artiste et artisan.

Une aventure dans laquelle je pourrai réaliser d’autres films durant ma vie.

Je ne sais pas du tout si ce parcours sera « long » mais je l’espère beaucoup.

La sortie du film c’était une période très excitante, stressante, j’étais très fier et en même temps j’avais peur du regard des autres, du regard des spectateurs, de la critique, du « milieu » 

J’étais rempli d’émotions très ambivalentes et changeantes tout au long de cette période.

 

Pour votre premier long métrage, vous avez tenu à filmer la communauté géorgienne de Nice, que vous connaissez forcément bien puisque vous en faites partie. C'était quelque chose d'incontournable pour vous de camper votre intrigue dans un univers qui vous est familier?

Je ne sais pas si c’était incontournable mais dans tous les cas c’était très confortable.

Je me sentais moins vulnérable vu que j’évoluais sur un terrain connu.

Pour un premier film je pense que c’était le bon choix.

Quand on pense à des polars français se déroulant dans une grande ville du Sud de la France c'est plutot à Marseille que l'on pense. Avez-vous voulu montrer que la ville de Nice, ce " village" comme elle  est  nommée  plusieurs fois par vos personnages,  peut aussi avoir sa face cachée, pas forcément la plus visible par les touristes?

Exactement. Le polar français (des derniers années) évolue souvent sur fond de trafic de drogue. Et du coup son intrigue se déroule à Marseille ou en île de France.

Dans la communauté maghrébine, africaine ou corse.

En ancrant l’histoire à Nice et dans la communauté géorgienne on savait qu’on tenait un point d’originalité alors qu’on se place dans un genre déjà « vu ».

Nice est une ville que j’admire et affectionne particulièrement. C’était important pour moi de placer l’histoire à Nice.

J’y ai fait toutes  mes études, mes courts métrages et mon 1er long métrage. J’en suis fier. Je voulais montrer une ville à hauteur d’hommes, comme nous la voyons nous, leurs habitants.

D’où la camera à l'épaule en mouvement perpétuel et à la hauteur de l’axe des yeux. 

Derrière les palmiers, plages et hôtels il y a multitudes de vies et de gens simples avec des histoires, des drames, des problèmes. Je voulais aussi montrer que Nice n’est pas qu’une ville touristique.

Réussir un film de genre impose d'en connaitre par cœur les codes et les conventions et de jouer avec, que ce soit dans le scénario ou dans la mise en scène... Avez vous une passion pour ce cinéma là et si oui est ce que c'est facile de transposer cette admiration à la réalisation d'un film de genre?

J’aime beaucoup les films de genre « criminel ».

Ce genre de films (de mafia, de gangster, de crime, polars) permettent d’explorer la noirceur humaine.

De montrer la laideur de ce monde. Je préfère que le crime soit sur scène que dans la vie des gens.

J’aime pas les films « thérapie » ou les « feel good movies », d'autres le font très bien ce cinéma là, mais ce n'est pas ce qui m'inspire en tant que cinéaste..

 

Votre mise en scène privilégie un coté très immersif et se permet aussi avec quelques longs plans séquences assez virtuoses notamment dans des appartements ou des soirées tres mondaines. Est ce que cette grammaire cinématographique qui montre une vraie appétence pour le cinéma demande une préparation tres rigoureuse avant le tournage ou bien certaines séquences peuvent encore s'ajuster au moment du tournage ?

Il faut effectivement beaucoup préparer et répéter.  C’est en étant le plus préparé possible que vous pouvez répercuter sur un imprévu. Dans un long plan ou plan séquence « la vie » vient toujours s’immiscer d’une manière ou de l’autre.

Il faut être très préparé pour pouvoir capter ces interventions du « réel ».

Je suis heureux parce que j’étais entouré d’une équipe technique et artistique très professionnelle et très impliquée.

Le résultat que vous voyez à l’image est obtenu grâce à eux.

 

Est ce que c'est facile en 2025 à l'ère de mee too et de la libération de la femme d'imposer- aux financeurs notamment-  un long métrage ou les 10 personnages principaux sont 9 hommes et une femme ou bien pensez vous qu'il aurait été plus facile de sortir Brule le sang il y a 20 ans?

Je n’ai jamais réfléchi à cet aspect du film sous cet angle. Je pense que cette histoire ne nécessite pas d’un personnage féminin en plus.

Pour moi c’était très important que la mère soit le seul vrai personnage féminin de l’histoire.

J’ai grandi dans un milieu principalement masculin, la seule figure féminine à laquelle je pouvais me raccrocher était ma mère.

C’est pourquoi, dans le film, le personnage féminin le plus important est une mère.

Le fait qu’elle soit la seule femme augmente encore plus son importance.

Peut-être qu’il y a 20 ans j’aurai tout simplement pas eu à répondre à ce genre de questions mais ce n’est pas forcément positif.

Ce qui se passe dans le monde de cinéma concernant la libération de la parole des femmes est une bonne chose.  Les choses changent, évoluent, je respecte profondément ça.

Dans le dossier de presse, vous dites que votre film dénonce avant tout " la masculinité toxique et montre que celle ci  mène à la mort et que les hommes forts finissent dans des bennes à ordures"..
Difficile de ne pas etre d'accord avec vous , mais on sait aussi qu' il y a 40 ans, pas mal de spectateurs, notamment en banlieue s'identifiaient à Tony Montana malgré sa destinée tragique ..N'avez vous pas la même crainte qu'un certain nombre de spectateurs voient Tristan et Gabriel avec un regard biaisé et fantasmé?

La subjectivité du spectateur n’a aucune limite.

Quand je « fabrique » le film je ne peux pas me permettre de penser à cet aspect de l’œuvre. (même s’il existe et il est important)

J’ai des sujets qui me torturent comme : la famille, la violence, la Foi, (qu’on retrouve dans le film). Je dois essayer de m’en libérer en créant une poésie visuelle , en créant des images.

Une fois ces images projetées, elles appartiennent un peu à chaque spectateur ou spectatrice.

J’espère qu’ils- ou elles- en feront bon usage.

 

Une des singularités de votre film, c'est que le comédien principal, Florent Hill en soit aussi le co scénariste. A quel moment de la conception du film, sa présence derrière la caméra vous a semblé indispensable et est-ce que Florent avait déjà des expériences confirmées de comédien avant de jouer dans Brûle le sang?

J’ai écrit tous mes court-métrages avec Florent que je connais depuis longtemps déjà. Il en est également acteur. 

Sur Brule le sang il était d’abord co-auteur du projet. Nous avions envisagé d’autres comédiens pour le rôle de Tristan mais je n’arrivais quand même pas trouver la bonne personne.

Un jour Florent m’a proposé de venir passer le casting.

C’est à ce moment qu’une évidence s’est imposé dans mon cerveau : qui d’autre que lui pouvait incarner le personnage ? La réponse était simple : personne.

Nous avons voulu faire les choses dans les règles de l’art.

Florent a passé toutes les étapes de casting et a prouvé à tout le monde que c’était la bonne personne pour endosser ce rôle.

 

Florent n'est pas géorgien, tout comme Nicolas Duvauchelle dans le rôle de son frère.. Est ce que vous avez envisagé un moment que vos deux comédiens soient joués par des géorgiens  et si oui pour quelles raisons avez vous changé d'avis? Par ailleurs;  est ce que Nicolas et Florent Hill ont dû beaucoup travailler pour apprendre la langue utilisée assez régulièrement dans votre film?

Pour des raisons évidentes de financement et de production je savais très tôt que les personnages ne pouvaient pas être joués par des acteurs géorgiens.  Nicolas est parfait dans ce rôle !

Grand merci à lui de m’avoir fait confiance !

Et à Florent aussi bien sûr.  Nous n'avons pas eu beaucoup de temps de préparation, car Nicolas était prévu sur un autre projet avant de venir sur notre tournage, il a dû apprendre quelques mots très rapidement.

Florent a eu plus de préparation et il a effectivement suivie des cours de Géorgien.

Dans Brule le sang, la violence est parfois montrée frontalement, parfois elle se situe plus hors champ.. Est ce que ces questions là- où on place la caméra pour filmer ces séquences forcément attendues par tout amateur de polar-  sont des réflexions que l'on se pose longuement  lorsqu'on réalise un film de genre?

Oui ! La question de savoir comment on montre la violence a été longuement débattu avec le producteur, les acteurs , le chef opérateur et surtout avec moi-même ! 

Nous avons fait le choix d’aller dès l’ouverture du film dans une violence assez explicite pour créer une émotion et une attente pour la suite.

L’attente d’un déferlement de violence durant le film mais qui n’arrive jamais vraiment. Pas au même degré qu’au début en tout cas.

En général nous avons fait le choix d’avoir une violence suggérée pour jouer sur l’imagination du spectateur.

J’aime pas quand la violence est esthétisée et rendue « cool » à l’image.

 

Les scènes de piano -la mère est professeure de piano- apportent un contrepoids plus léger et poétique dans un univers tres tendu.
C'était important pour vous de montrer que malgré la violence qui irriguent vos personnages, ils peuvent aussi être touchés par des airs de piano?

 

Ma mère est professeure de piano dans la vie. J’en ai aussi pratiqué dans ma jeunesse.

Le piano fait partie intégrante de ma vie. Je pense que la musique dans le film est le meilleur moyen de dévier de la violence et d’emmener le film vers une dimension poétique.

Dans tous les cas c’est comme ça que nous avons essayer de contrebalancer la violence.

 

Que signifie le titre? Est-il un extrait d'une phrase biblique, vu que la religion revêt une dimension importante dans votre film?

Le titre n’est pas tiré de la religion.

Il est un extrait d’un poème de Nazim Hikmet. Il en est inspiré plutôt. 

C’est pas une citation directe. Voici le l’extrait de poème :

« Si je ne brûle pas
si tu ne brûles pas
si nous ne brûlons pas
comment les ténèbres
deviendront-elles
clarté. »

Pour nous, avec Florent, c’est une métaphore du chemin qui est sinueux et douloureux pour le personnage principal.

Tristan  doit passer par des épreuves douloureuses pour espérer retrouver la paix intérieure.

 

Concernant vos prochains projets, pensez-vous continuer à développer le genre du cinéma policier et toujours dans la même communauté ou bien votre prochain long métrage devrait nous emmener complètement ailleurs?

Je pense que je referai des films dans ce même genre mais le prochain projet m’emmène effectivement ailleurs, loin de la communauté géorgienne et de la ville de Nice.

Je développe avec Adastra films (Sébastien Aubert et Leslie Jacob)  à la production et toujours Florent Hill à la co-écriture un film d’action dans le milieu de l’espionnage sous fond de tension géopolitique

! Pour l'instant impossible d'en dire plus mais j'espère vraiment que ce projet se concrétise rapidement j'ai encore tellement faim de cinéma !!

 

Brûle le sang d’Akaki Popkhadze avec Florent Hill, Nicolas Duvauchelle, Finnegan Oldfield, Denis Lavant… 1h39.

Actuellement en salles

Commentaires
Qui sommes-nous ?

Webzine crée en 2010, d'abord en solo puis désormais avec une équipe de six rédacteurs avec la même envie : partager notre passion de la culture sous toutes ses formes : critiques cinéma, littérature, théâtre, concert , expositions, musique, interviews, spectacles.

Nous contacter

Envoyer un mail à l'administrateur : philippehugot9@gmail.com 

Visiteurs
Depuis la création 7 825 397
25ème édition du Festival du Cinéma Européen - FCEM Du 4 au 13 avril 2025, à Meyzieu

Parrain du Festival Philippe Rebbot

Les moments forts de la 25ème édition du Festival du Cinéma Européen - FCEM
Du 4 au 13 avril 2025, à Meyzieu

https://www.cinema-europeen.fr/

21e édition du festival "Quais du polar"à Lyon, du 4 au 6 avril 2025

"Le premier festival de polar en France et en Europe" a cette année choisi une thématique d'actualité : les frontières.

Plus de 150 auteurs invités, de James Elroy à Sandrine Colette....

https://quaisdupolar.com/auteurs-2025/

 

Festival Les Mauvais Gones, à Lyon, du 14 au 18 avril 2025

 

Les Mauvais Gones  reviennent dans les cinémas UGC Ciné Cité de Lyon pour une 7 ème édition sous le signe de l'univers des films de gangsters et policiers.

Au programme : 5 soirées, 5 expériences et des projections coup de poing, des rencontres exclusives et des événements taillés pour les amateurs de cinéma qui n’ont pas froid aux yeux.

https://www.lesmauvaisgones.fr/

Newsletter
150 abonnés