L'ATTACHEMENT AU CINÉMA : NOTRE INTERVIEW DE LA RÉALISATRICE CARINE TARDIEU
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Avec "L'attachement," à voir en salles dès demain, Carine Tardieu nous transporte dans une famille avec des liens d’élection, pas ceux dictés par les normes.
La cinéaste de "La tête de maman" ou "des vieux amants" , réussit, avec son nouveau long métrage une comédie dramatique dense en émotions et questionnements sans verser dans le mélo et en laissant toujours entrer la légèreté et la gravité des possibles de la vie et de ses aventures.
Carine Tardieu :
Je l’ai découvert par hasard parce qu’il m’avait été envoyé par son éditeur.
Il faut savoir qu'à la première lecture, j’ai été déroutée parce que j’aimais beaucoup le point de départ du livre avec la rencontre entre cette femme libraire et cet homme endeuillé, mais ensuite le roman partait complètement dans une autre direction et on perdait notamment le personnage principal de Sandra pour découvrir un nouveau personnage qui m’intéressait beaucoup moins.
Par hasard quelques mois plus tard, Fanny Ardant de passage à la maison trouve le bouquin sur mon bureau, me dit qu’elle l’a lu et qu’elle pense que cette histoire est faite pour moi...
Interpellée, je m’y suis replongée en me concentrant sur ce qui m’avait émue : la rencontre entre cette libraire farouchement indépendante et son voisin de palier qui se retrouve brutalement seul avec un petit garçon et un nourrisson..
Et j’ai compris qu’en remettant Sandra au centre, un film était possible.
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Carine Tardieu :
J’aimais l’idée de faire le portrait d’une femme moderne, qui n’est pas assujettie aux diktats du patriarcat, qui revendique son indépendance, assume un célibat qu’elle ne cherche jamais à justifier, une femme relativement libre en somme, mais qui, soudain ébranlée par l’affection que lui portent un petit garçon et son beau-père endeuillés, voit ses fondements voler en éclats..
J’aimais l’idée également qu’une femme n’ayant à priori aucun attrait pour les enfants s’attache malgré elle non seulement à un homme, mais aussi, voire surtout, à sa progéniture.
Carine Tardieu :
Comme beaucoup de femmes de 50 ans, j’ai été, petite fille, biberonnée aux contes qui se terminent par un mariage et beaucoup d’enfants, puis jeune adulte, pressée par la société de fonder une famille des plus « classiques ».
Or mon chemin fut tout autre (m’obligeant d’ailleurs à me justifier bien trop souvent d’une situation hors-normes).
Devenir mère n’avait jamais été pour moi une préoccupation majeure, mais à 40 ans, lasse peut-être de n’avoir encore et toujours qu’à me préoccuper de moi-même, j’ai manifesté une forme de curiosité pour la maternité et chemin faisant, suis devenue la mère d’une enfant que j’ai adoptée – seule - dans un pays étranger.
J’ai compris en prenant pour la première fois ma fille dans mes bras que notre rencontre ne faisait que commencer. Si mon sentiment de responsabilité a été immédiat, l’amour que je lui porte aujourd’hui n’avait rien d’une évidence.
J’ai découvert que l’attachement était une construction de tous les jours, qui va croissant au fur et à mesure que ma fille et moi apprenons à nous connaître : c’est assez bouleversant !
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Carine Tardieu :
Cette idée de faire des ellipses avec des cartons de l’âge du bébé Lucille qui évolue au fur et à mesure m’est venue quand j’ai vu Madres paralelas de Pedro Almodóvar.
J'ai trouvé que ses ellipses faisant avancer une histoire parlant aussi de liens familiaux avec quelque chose qui tend les relations entre les personnages et qui me plaisait beaucoup.
Ce film réussissait également à passer d’un moment à l’autre dans l’histoire des personnages en faisant l’impasse sur certains autres moments qui sont off.
J’ai aussi remarqué depuis que je suis mère que quand nos enfants grandissent, on voit le temps passer beaucoup plus que quand on n’a pas d’enfants : chaque événement de la vie de l’enfant (les premiers pas, les premières dents, les premiers mots, etc.) donne une sensation d’avancée et aussi d’irréversibilité du temps qui passe. Je trouvais que cela donnait une impulsion nécessaire à mon film car cette irréversibilité raconte la force de l’attachement entre Sandra (Valeria Bruni Tedeschi) et cette famille.
Quand on a franchi des degrés d’attachement, il n’y a pas de retour en arrière possible. D’autre part, comme la naissance de cette petite fille coïncide avec la mort de sa mère, cela rythmait aussi les étapes du deuil que doit traverser le personnage d’Alex
Carine Tardieu :
En fait, il fallait tenir un équilibre pour que chacun ait sa part, qu’on suive les motivations et les progressions psychologiques de tout le monde, et que cela devienne organique. Il fallait toujours remettre au centre l’histoire de Sandra avec Alex (et avec ses enfants), mais s’autoriser aussi à partir avec l’un ou avec l’autre.
Car l’attachement entre eux nait d’emblée, mais il est en évolution perpétuelle.
Quand par exemple, ils se détachent au milieu du film par nécessité et par l’irruption de cet autre personnage incarné par Vimala Pons, cela contribue aussi à la construction de leur attachement.
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Carine Tardieu :
J’ai la conviction personnelle que l’attachement est une voie possible pour l’amour.
J’ai fait des études de psychologie il y a très longtemps et j’ai repensé à John Bowlby qui a travaillé sur l’attachement et les jeunes enfants.
Selon lui, la première personne auquel le nouveau-né s’attache, la plupart du temps sa mère, c’est avant tout par nécessité vitale.
Par instinct de survie, il s’attache à la personne qui lui apporte le plus de soin, le garde, le nourrit, etc. Ensuite, l’amour, l’affection, en découlent.
J’ai eu envie de mettre cela en scène dans le rapport que Sandra, Alex et le petit Elliot créent entre eux.
L’attachement d‘Elliot pour Sandra est vital au départ car il se retrouve seul, avec un père pas très stable et un beau-père Alex qui est présent mais qui est pris dans son propre deuil. Elliot s’attache donc à Sandra qui a pourtant tout pour ne pas être une bonne mère car à priori elle ne s’intéresse pas du tout aux enfants.
Et pour Elliot, s’attacher à Sandra, c’est aussi une manière de ne pas trahir sa propre mère, celle qu’il a aimée et qui est morte.
Quant à Sandra, elle s’attache à eux sur une impulsion car elle sent bien qu’ils ont besoin d’une nécessité vitale.
Ensuite, leur relation va se nouer sur la réalité de leurs personnalités avec un petit garçon particulièrement attachant pour Sandra car il a du répondant, il est drôle, singulier
. Mais comme le dit à un moment Sandra à Alex : "je suis juste celle qui était là".
Et ce n’est pas faux car il y a quelque chose de l’ordre de la nécessité et nécessité fait loi.
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Carine Tardieu :
Oui je crois que plus ça va, plus j’aspire à faire des films les plus simples possibles.
Vous savez, l’un de mes maîtres est Claude Sautet dont le cinéma a l’air très simple (avec essentiellement des champs-contrechamps et quelques plans larges) mais qui est d’une précision incroyable.
Pour ce film, j’ai revu les films de Sautet, évidemment, mais aussi des films de Noah Baumbach et d’autres où il y a une apparente légèreté de mise en scène.
J'ai revu récemment la tête de maman que je n'avais pas vu depuis 15 ans et je l'ai trouvé extrêmement maladroit, il y a plein d 'effets de caméras qui sont trop superflus qui sont juste là pour montrer que je sais manier la caméra mais qui n'apporte rien au récit, je ne les ferais plus ainsi si je retournais la même histoire, c'est sur ..
Ainsi, dans L’Attachement, il n’y a pas de travelling, sauf un tout petit. On est en caméra portée (mais qui ne bouge pas dans tous les sens) avec des focales qui ne sont pas extrêmement longues pour être avec les acteurs.
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Car, d’une certaine manière, je voulais que la caméra soit attachée elle aussi à cette famille, qu’on soit avec eux.
Et même si je suis une réalisatrice qui contrôle beaucoup et attachée au respect du texte, comme je tournais avec un petit garçon de six ans et avec des bébés, il fallait une forme de légèreté dans le tournage pour être prêt à s’adapter à eux.
Ensuite, au montage, ce qui m’est apparu et ce qui n’était pas prémédité à ce point, c’est que le film est beaucoup plus musical que ce que j’avais imaginé, notamment avec le jeu de portes et l’espace du palier entre les deux appartements.
C'était vraiment important que la mise en scène soit discrète pour que le spectateur puisse être vraiment en adhésion avec ce que vivent mes personnages...
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Crédit photo: Dorian Chassagne
Merci au cinéma Le Comoedia (entretien réalisé le 11 février dernier)
Merci au distributeur Diaphana
Retrouvez notre chronique du film ci dessous :
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