Rencontre avec Emmanuel Finkiel pour le film 'La Chambre de Mariana"
Après « Voyages » et « La Douleur », Emmanuel Finkiel évoque une nouvelle fois la Shoah dans La Chambre de Mariana, un film sublime à voir en salles depuis mercredi dernier.
En adaptant le roman de l’écrivain israélien Aharon Appelfeld, le cinéaste se penche à nouveau sur les traumas de la Seconde Guerre mondiale et réalise un film magnifique.
Entretien avec un cinéaste engagé, passionné et particulièrement déterminé à tenir ses projets jusqu'au bout.
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Emmanuel Finkiel :
La proposition de Appelfeld est singulière : il met son petit Juif traqué non pas dans une ferme ou dans un monastère mais dans la chambre d’une prostituée elle-même dans un bordel.
Or Appelfeld est quelqu’un de très pudique. Pourquoi fait-il ça ? Son adolescent, pris dans la tenaille de la Shoah, perd tout, jusqu’à son identité.
Et c’est au contact de cette prostituée qu’il va se transformer et s’éveiller à la sexualité et plus généralement à la vie.
C’est cette nouvelle perspective qui m’a fait me dire, à moi, que c’était complémentaire avec ce que j’avais fait auparavant. Car je me suis rendu compte en le relisant que La Chambre de Mariana contenait un aspect important qui manquait dans mes premiers films : le désir de vivre.
Les personnages de Voyages et de La Douleur sont phagocytés par une absence qui les rend eux-mêmes absents de la vie.
À savoir des œuvres avec des personnages qui ne peuvent pas vivre dans le présent et encore moins se projeter dans l’avenir, tant ils sont phagocytés par leurs fantômes.
Là, c’est une alternative : c’est un adolescent qui, au final, court vers la vie.
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La voie de la radicalité me semblait plus évidente que celle du naturalisme, elle était presque, si je peux dire la seule façon de s’en sortir du texte.
La plume d’Appelfeld est très mystérieuse, car tout en étant très simple, voire lacunaire, avec peu de descriptions, vous savez et ressentez tout.
Il y avait quelque chose de très stimulant, voire d’excitant à mettre en scène cette histoire d’un petit garçon enfermé dans un réduit situé dans une maison close : comment donner à voir dans un lieu où, par définition, on prive quelqu’un de la possibilité de voir quoi que ce soit.
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Je dirais plutôt que c’est l’actualité qui percute mon film si vous me le permettez ( rires)
Il y a quand même une sorte de folie à imaginer le trajet que prend l’Histoire et qui nous replace dans le passé...
Et c’est important pour moi que ce personnage de Mariana fasse écho à cette actualité des plus sinistres : c’est une femme courage au milieu d’autres femmes courage qui traversent l’Histoire des hommes en la subissant et en faisant résistance pour simplement tenter de survivre.
Seul Hugo est différent et c’est pour cela que Mariana va vers lui de manière un peu ambigüe, trouble. C’est pour elle l’occasion d’envisager une autre vie, de rebattre les cartes.
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Pour cela, il aura fallu plus de deux ans de travail. Elle s’est fait rééduquer l’oreille. Chaque langue émet des fréquences que vous n’entendez pas forcément.
Elle s’est donc fait l’oreille ukrainienne si je peux dire. Un mot, c’est à la fois un signifiant – son armature visuelle ou sonore – et un signifié, ce qu’il veut dire. Lacan a donné au signifiant beaucoup plus d’importance qu’au signifié. L’inconscient se moque du signifié.
C’est pour cela que c’est si dur de décrypter les rêves. Moi, je n’avais accès qu’au signifiant sur le tournage et je savais, par le son et le corps, si c’était juste ou pas.
« La Chambre de Mariana » d'Emmanuel Finkiel, en salle depuis le 23 avril.
Merci au cinéma le Comoedia et AD VITAM FILM
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