Cannes 2018 : EN GUERRE : le duo de choc Brizé/ Lindon frappe encore de plein fouet
En même temps que les festivaliers, on a pu découvrir, cette année , trois films en compétition à Cannes et, par rapport à l'an passé où le triptique Rodin/ Les fantômes d'Ismaël/ L'amant double laissait (au mieux) quelque peu dubitatif, cette année, ceux qui ne sont pas à Cannes sont bien lotis avec trois excellents longs métrages projetés simultanément dans les salles obscures.
Ainsi, après Everybody Knows dont notre critique est bien plus enthousiaste que celles de nos collègues très tièdes sur le voyage espagnol de Farhadi et, avant de revenir sur l'éblouissant film de Christophe Honoré, il est important de revenir sur un des longs métrages de la compétition qui faisait sans doute partie des plus attendus à savoir En guerre de Stéphane Brizé qu'on a pu voir mardi soir en même temps que sa projection sur la croisette.
Après un détour peu convaincant par l'adaptation littéraire de grand classique Stéphane Brizé revient ainsi après La loi du marché en 2015 au film social et politique pour raconter la lutte d’ouvriers pour sauver leurs emplois à Agen.
Il le fait à travers une nouvelle chronique sociale tout en force et en réalisme avec le même dispositif général que pour la loi du Marché, à savoir une nouvelle fois, un Vincent Lindon totalement investi en leader syndical, plongé au milieu de comédiens non professionnels pour sonder en profondeur les maux de l'ultra libéralisme forcené.
"En guerre" nous montre tout de ce « marché » qui dicte tout des régles et entraine une lutte des classes particulièrement tranchée avec des visions idéologiques qui s'opposent fortement sur la liberté d’entreprendre et la mondialisation, et un État qui "conseille", tout en prenant bien soin de ne jamais vraiment s'engager.
En tête du combat syndical, en délégué jusqu'au boutiste, Vincent Lindon est une nouvelle fois formidable, totalement investi à cette cause : il mobilise les salariés, les politiques, la justice pour tenter d'atténuer (en vain?) cette course au profit au dépens d’employés corvéables à merci.
Contrairement à ses autres rôles chez Brizé où il était particulièrement taiseux et résigné ("La loi du marché mais aussi Mademoiselle chambon ou le beau "Quelques heures de printemps" ,Lindon campe ici un homme qui argumente, se défend et résiste.
A voir dès demain soir lors du Palmarès si son impeccable prestation peut lui permettre de faire le doublé cannois concernant un éventuel prix d'interprétation masculine (même si Pierre Deladonchamps, formidable dans le Honoré, a encore plus nos faveurs et qu'on parle aussi beaucoup de l'acteur due Dogman de Matteo Garrone).
Si dans LA LOI DU MARCHÉ (voir chronique) le procédé de coller à son héros en évitant tout romanesque et lyrisme donnait un côté opressant avec une accumulation un peu redondante de plans fixes et un héros particulièrement taiseux et résigne, EN GUERRE aborde la problématique de l’injustice sociale avec une autre tonalité et une approche différente même s'il reste fidèle au naturalisme très proche du documentaire.
La mise en scène est certes toujours aussi épurée et dépouillée,mais avec cette caméra à l'épaule qui suit cette lutte sociale et des discussions à n'en plus finir, il y a là une urgence, une intensité et un rythme- notons une intelligence admirable du montage – qui faisaient un peu défaut au premier volet d'autant plus qu'une bande musicale vient apporter un peu d'aération au dur constat qui s'affiche sous nos yeux.
Toujours aussi inconfortable que la loi du marché , En guerre est moins apre et moins austère du film et surtout même s'il épouse évidemment la cause de ces ouvriers prend soin de ne pas tomber dans le manichéisme primaire : dans le film de Brizé, il n'y a pas d'un côté les gentils salariés et de l'autre, les méchants patrons.
On voit à quel point Stéphane Brizé et son co-scénariste ont porté une attention particulière à l'écriture des personnages basés sur plusieurs faits divers, afin de construire du mieux possible cette plongée hyperréaliste dans un plan social.
Leur propos porte avec plus de pertinence et de nuance et leur film va bien plus loin que les témoignages vus dans les médias (les TV d'infos continus sont très présentes dans le film) qui se contentent de relayer la colère, sans tenter d'en expliquer les raisons profondes et qui ne nous montrent jamais les endroits où tous se jouent comme ces salles de réunions où se déroulent une bonne partie de l'intrigue du film de Brizé.
Alors certes on pourra toujours préférer à ce cinéma la, un cinéma à la Ken Loach, plus sentimental et plus humain, mais ce film, qui prend une résonnance toute particulière dans le contexte actuel de lutte des cheminots, n'en est pas moins aussi passionnant que grandement salutaire.