Face à la Nuit (critique) : un sublime voyage nocturne à travers les époques et les genres
Spécial cinéma chinois en ce lundi matin de juillet : après vous avoir parlé ce matin du très beau "So Long My Son", sorti mercredi dernier , on vous chante les louanges d'un autre film venu de Chine, vu lors du dernier Festival de Beaune où il a reçu la récompense suprême.
Le film sort en salles dans deux jours et on vous dit pourquoi il ne faut absolument pas le rater ..
En avril dernier, deux mois avant que Parasite ne soit consacré à Cannes avec le succès public que l'on sait, un autre grand festival international se déroulant en France, celui de Beaune avait choisi de décerner sa récompense supreme, le Grand Prix à un représentant du cinéma asiatique et plus particulièrement au long-métrage d'un cinéaste chinois Wi Ding Ho, Face à la Nuit .
Le film épate tout d'abord par sa construction : le réalisateur choisit de déconstruire totalement son film et nous raconte trois périodes charnières ou plus exactement nuits extraordinaires de la vie d’un homme a priori ordinaire.
Ce récit à rebours (que l'on met un petit temps à saisir totalement si on n'est pas au courant) montre comment chacune de ces nuits a fait basculer son existence et aussi comment les relations compliquées que cet homme pu connaitre avec les femmes, l’ont changé à tout jamais.
Cette construction narrative est aussi audacieuse que jubilatoire : on pense notamment au sublime et oscarisé "Moonlight", mais contrairement au film américain, le cinéaste chinois décide de raconter son futur pour aboutir au passé, comme le faisait "5 X 2 " de Ozon ou "Irreversible" de Gaspar Noé, sauf qu'ici, pour brouiller encore plus les cartes, Wi Ding Ho choisit un parti pris esthétique et une mélancolie latente qui possèdent une filiation évidente avec les meilleurs films de Wong Kar-wai.
Car si les 3 séquences du film (qui indépendamment les uns des autres pourraient être comme trois moyens métrages d'une quarantaine de minutes) semblent a priori assez éloignées les unes des autres ( thriller d'anticipation pour la première au futur, polar amoureux pour la seconde au présent et chronique d'enfance délinquante pour la dernière au passé ), ce qui lie ces périodes entre elles, outre le personnage principal à trois ages de sa vie, c'est cette tristesse assez insondable et bouleversante qui irrigue chacun des trois volets.
En remontant ainsi dans le temps, on comprend peu à peu comment le destin d'un être humain peut s'écrire de façon précoce, dans les prémisses de son existence, comment les différentes générations interagissent entre elles et aussi comment il a pu arriver à un tel désespoir à la fin de sa vie ( et donc au début du film, tout le monde suit?).
Face à la Nuit transcende complètement le côté "exercice de style" que le projet pouvait faire craindre au départ, grâce à une maitrise narrative et cinématographique indéniables.
Le film trouve en effet parfaitement le point d' équilibre entre les trois histoires, et surtout entre tous les genres qu'il traverse : le polar très noir, la fable d'anticipation, la romance avec un côté film français ( avec la belle prestation de la jeune et sublime Louise Gringberg, déjà remarquable dans La Prière de Cédric Kahn) la chronique adolescente et le drame social.
Pour être émerveillé par la profondeur thématique et la beauté de "Face à Nuit", il ne faut évidemment pas craindre les ambiances amères et un poil désespérées que le film invoque.
Gageons néanmoins que quiconque acceptera de se laisser happer par le long métrage de Wi Ding Ho ne devrait pas le regretter, tant le voyage est sublime et mémorable.
FACE À LA NUIT CITIES OF LAST THINGS/ en salles le mercredi 10 juillet 2019
Un film de WI-DING HO
Avec JACK KAO, HONG-CHI LEE, LOUISE GRINBERG
2018 / Taïwan, Chine, EU, France / 1h47 /