Festival Lumière : La promesse, ou comment les Dardenne ont fait naitre celles d'un cinéma humain et vrai
Leur consécration lors du dernier Festival Lumière nous aura permis de revoir 25 ans après sa sortie en salles La promesse, considéré par l'avis de tous, comme le premier long métrage réussi des frères Dardenne et présenté en 1995 à la Quinzaine des Réalisateurs.
Après deux premières fictions assez maladroites, La promesse est le premier long métrage des frères à faire apparaitre aux cinéphiles les prémisses de la touche Dardenne si reconnaissable dans leurs oeuvres à venir; caractérisé par ce mélange d'épure stylistique inspiré du documentaire d'où ils viennent, et une absence de jugement sur leurs personnages.
Ce film- qui aura fait connaitre deux grands comédiens belges, Olivier Gourmet et Jérémie Rénier, tous deux toujours en activité- met en scène Igor, 15 ans, qui aide son père dans un trafic de main d'oeuvre maffieuses .
Ce père escroque et exploite des clandestins en les entassant dans des logements vétustes et en les faisant travailler au noir.
Jusqu’au jour où, suite à un contrôle des inspecteurs du travail, Hamidou, l’un des travailleurs clandestins, tombe de son échafaudage et est grièvement blessé.
Le risque d’être découvert est trop grand pour Roger qui entraîne son fils à le laisser mourir et à faire disparaître le corps plutôt que de l’emmener à l’hôpital.
Mais Igor a recueilli les dernières paroles de Hamidou et lui a promis de prendre soin de sa femme Assita et de leur enfant.
La suite du film va voir se détacher progressivement Igor de son père qui voulait se débarrasser de la femme d’Hamidou en la refilant à un réseau de prostituées.
Pris dans les filets de la culpabilité, Igor devra choisir enre son père et la promesse faite à Hamidou. Le trajet de l’adolescent va l’amener à tenir sa promesse en finissant par dire la vérité à Assita, au risque d’une dénonciation par celle-ci de son propre père.
On le voit avec ce résumé, "La Promesse" est un grand film qui interroge la fonction paternelle dans son destin contemporain.
Dès les premières images du film, la présence autoritaire du père est perçue comme prégnante et le fonctionnement idéologique d'Igor semble se conformer par instinct à ce modèle paternel qu'il a intégré malgré lui depuis tout petit .
Comme dans les films qui suivront ensuite, les frères Dardenne éloignent décor ou plan large pour se focaliser sur les corps de leurs personnages.
Le corps, mais surtout d'ailleurs le visage de leurs protagonistes; visage qui, selon un précepte que les frères ont reconnu avoir emprunté à Levinas, est " la première parole, celui qui permet au personnage d'exister au spectateur pour la première fois."
Pour coller à ce propos et pour la première fois, les frères Dardenne vont experimenter cette technique qu'ils feront leurs, celle de ne jamais s’éloigner des corps, et de tourner dans la continuité pour sentir l’évolution des personnages, afin de chercher à bousculer le confort visuel du spectateur.
Ce procédé deviendra leur marque de fabrique dans leurs films à venir, de Rosetta à L'enfant .
En impliquant de suite le regard du personnage, les cinéastes belges amènent le spectateur à accomplir une expérience quasi éthique et à comprendre activement le cheminement du dit personnage.
Dans son journal de tournage, Luc Dardenne- qui en tient pour chaque film- a écrit « Ce qui importe pour le film, c’est d’arriver à reconstruire de l’expérience humaine. Un choc, vu l’absence de cette expérience dans notre présent ".
Le choc, en l'occurence, c’est la chute d’Hamidou et le comportement du père tandis que l’expérience humaine, ce sont les paroles échangées entre Hamidou sachant sa mort prochaine et Igor.
Refusant sans cesse le contrechamps, les Dardenne excluent régulièrement du champs de la caméra l'un des deux protagonistes qui dialoguent ou qui se regardent, comme dans le beau et inoubliable face à face final entre Igor et Assita.