Rencontre cinéma : Interview de Marc Dugain, réalisateur d'Eugénie Grandet
Le romancier Marc Dugain avait prouvé en adaptant L’échange des princesses (de Chantal Thomas) sa maîtrise à convertir un récit – historique – en plages de temps de cinéma.
En donnant corps à Eugénie Grandet, qui sort en salles ce jour (retrouvez notre chronique du film ), Dugain prend un risque assumé et nous livre une adaptation féministe et moderne à découvrir l
On a rencontré la semaine dernière sur Lyon ce cinéaste et romancier particulièrement exigeant et intelligent.
Petite revue de notre entrevue avec lui :
C’est la première fois que vous adaptez un classique de la littérature française. Qu’est-ce qui vous a particulièrement attiré chez « Eugénie Grandet » de Balzac ?
Marc Dugain : À l’été 2018, alors que je relisais Balzac, j’ai vu le côté très actuel d’Eugénie Grandet, ce que ce roman disait de la condition féminine, du poids du patriarcat qui écrase encore de nombreuses femmes dans le monde. Pour autant, un bon sujet ne suffit pas à faire un film. Il ne faut pas que le propos s’épuise en cours de route.
Ce n’est pas le cas avec « Eugénie Grandet ». c’est même mieux que ce que j’imaginais.
Cette jeune fille enfermée dans les enjeux financiers et de pouvoirs, arrive paradoxalement à l’émancipation grâce à l’avarice de son père.
Ce « classique » de la littérature française a pour moi encore pas mal de choses à dire au public d'aujourd'hui ... .
Balzac a une façon très particulière de parler des femmes, dont on sent qu’il est profondément admiratif, et chacun de ses livres est une occasion de dénoncer leur condition.
Au début du XIXe, les femmes sont littéralement asservies aux hommes, à leur volonté, prises dans un étau entre tâches peu gratifiantes et principes religieux, mariées le plus souvent contre leur gré. Quoi qu’elles fassent, elles se heurtent à la seule volonté des hommes....
Quel a été votre parti pris lors du travail d'adaptation ?
Marc Dugain. J’ai écrit le scénario en cinq jours. L’histoire coulait. J’ai ciblé les scènes du livre que je voulais garder et celles que je voulais laisser de côté.
J’ai dessiné un patchwork, puis je me suis mis à écrire de manière fluide et presque automatique, guidé par l’importance que je donnais à tel ou tel passage et en toute liberté.
Il me fallait adapter la langue de Balzac pour un public d’aujourd’hui afin qu’elle ne paraisse pas trop désuète
Quel regard portez-vous sur Grandet, personnage principal ?
Marc Dugain. Grandet est en proie à la psychose de la possession. Afin de ne pas payer de dot, il manœuvre pour éloigner tous les prétendants de sa fille.
C’est une façon de l’enfermer, de l’empêcher d’appartenir à un autre. Pourtant, à son insu, il en fera une femme libre.
Je n ai pas voulu insister trop lourdement sur son avarice.
Proie d’une névrose obsessionnelle, il ne prête pas à rire comme Harpagon.
Parlez nous de vos choix castings, notamment Olivier Gourmet, votre Régent de « L’échange des Princesses », ici vraiment formidable dans le rôle du Père Grandet.
Marc Dugain. Oui, Olivier est exceptionnel. Totalement instinctif, il EST le personnage. C’est une montagne, un roc.
Le rôle était pour lui et ce fut acquis pour tout le monde. Quand je lui ai proposé Grandet, Olivier m’a répondu : « Je n’imagine pas que ce soit quelqu’un d’autre
Il exprime très bien la brutalité, la roublardise et le côté terrien du personnage, avec un véritable charisme. C’est un acteur naturel, instinctif et un homme sensible.
Entre Valérie Bonneton dans un rôle dramatique à contre emploi qui s'avère formidable et Joséphine Japy, parfaite, à la fois sage et vibrante, les choix de casting furent aussi évidents.
Sans oublier les personnages secondaires tenus par des acteurs de la Comédie française.
Le succès de « L’échange des princesses » vous aide à monter de nouveaux films ?
Marc Dugain : Vous savez, il ne faut pas écouter l’air du temps, ni racoler l’actualité. En littérature comme au cinéma, les calculs n’ont aucun sens.
Dans mon essai « L’homme nu », j’annonçais déjà la fin de la vie privée. Nous y sommes. La grande énigme reste l’humain. Cette propension que nous avons à courir à notre destruction.
Je crois que de voir la gueule cassée de mon grand-père pendant l’enfance (N.D.L.R. : rescapé de la Première guerre, il lui a inspiré « La chambre des officiers ») a planté en moi le désir de comprendre jusqu’où nos élans destructeurs pouvaient nous emmener…