Interview cinéma- nos questions à Cédric Kahn, réalisateur du formidable Le Procès Goldman
D'abord assistant monteur chez Pialat, Cédric Kahn un de nos plus grands cinéastes français, s'impose dans le cinéma français du début des années 90 avec une série de films âpres et incandescents, Bar des rails, Roberto Succo ou encore Trop de bonheur. Depuis, il creuse son sillon et compose au fil des ans une œuvre éclectique (thrillers, comédies ou conte pour enfants).
L’auteur de Roberto Succo s’empare désormais de l’affaire Pierre Goldman, activiste d’extrême gauche, juif polonais, figure intellectuelle soutenue par Simone Signoret et Régis Debray et bandit accusé d’avoir tué lors d’un vol à main armée deux pharmaciennes, le 19 décembre 1969 à Paris.
Après Saint-Omer d’Alice Diop et Anatomie d’une chute de Justine Triet, Cédric Kahn se saisit à son tour du film de procès, décidément nouvel outil de prédilection d’un certain cinéma d’auteur français, prompt à décortiquer l’époque.
Le Procès Goldman, projeté en mai dernier à Cannes, sort en salles ce mercredi- Retrouvez notre critique emballée du film ici même .
Cédric Kahn est aussi passionnant à écouter que ses films le sont à regarder.
La preuve tangible avec ces extraits d'entrevue réalisée à Lyon le 11 septembre dernier à Lyon.
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Vous avez dit dans le dossier de presse avoir lu l'autobiographie de Pierre Goldman il y a une quinzaine d'années. Quelle image aviez-vous à l'époque de lui ?
Je viens d'un milieu de gauche, j'avais donc évidemment entendu parler de cette histoire.
Pierre Goldman faisait partie on va dire des quelques mythes de la gauche révolutionnaire. Je savais qu'un demi-frère de Jean-Jacques Goldman était un peu voyou, un peu révolutionnaire, mais c'était flou — mais je savais qu'il existait. Le livre était dans la bibliothèque de mes parents, je le voyais depuis que j'étais gamin.
Il avait ce titre incroyablement intrigant, très beau et compliqué [Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France,. Un jour, je devais avoir 35 ans je dirais, j'ai ouvert ce livre.J'ai mis beaucoup de temps pour le lire mais par contre, le choc de la lecture du livre a été immédiat.
Comment ce choc de lecture s'est t-il matérialisé?
Disons que j'ai été happé par la pensée, l'écriture la personnalité de cet homme.
En fouillant son histoire, je me suis dit : « il faut faire quelque chose avec cette histoire ». Pas tellement avec l'histoire de Pierre Goldman — factuellement, si on prend les aspects romanesques, le “roman de Pierre Goldman“ n'est pas très intéressant. Il a voulu faire la révolution, il ne l'a pas vraiment faite ; il a fait le voyou mais pas non plus un grand voyou…
Il a surtout beaucoup parlé, beaucoup discouru sur ses intentions, beaucoup fait la fête — il le dit lui même. Mais sa personnalité est vraiment très intéressante.
Le livre a suscité des commentaires pour le moins divergents, car après l'avoir lu, certains sont persuadés qu'il était coupable et d'autres sont certains qu'il est innocent.
Oui oui vous avez raison. Mais il faut savoir qu'à l'origine c'était pas une autobiographie qu'il a écrite mais un vrai plaidoyer. Goldman estimait que sa défense avait été sabordée.
D'abord, il est condamné à perpète. Le premier procès a été assez expéditif, le premier avocat pas très solide. Et il y a un deuxième procès, de manière tout à fait exceptionnelle, qui a été obtenu par des chemins externes à lui.
Goldman a écrit son plaidoyer en prison parce qu'il veut clamer son innocence et qu'il estime qu'il a été victime d'une injustice.
Je crois que le livre est d'abord accueilli comme une œuvre littéraire plus qu'un plaidoyer ou que la preuve de son innocence : les gens disent que c'est d'abord la naissance d'un grand écrivain.
Parce qu'il parle d'une période dont les gens parlent peu encore à l'époque : la Shoah. Il est l'un des premiers enfants de cette histoire à s'exprimer sur ses parents ; même des gens qui l'ont vécue parlent peu à cette époque.
Pour toutes ces raisons, son roman est saisissant. Et culte, aujourd'hui.
C'est la première fois qu'en tant que réalisateur vous vous interessez à la question de la judaïcité... si dans votre parcours d'acteur, avec notamment les films d'Elie Wajeman dans lequel vous avez joué, vous avez pu vous appropriez cette question, comme réalisateur avant, ce questionnement n'intervenait pas dans vos films n'est ce pas?
Je suis juif certes mais loin de moi l'idée de réduire le Procès Goldman à la question du judaisme.
Et comme vous le dites je ne suis pas spécialisement à l'aise avec l'idée d'un cinéma identitaire.
Je n'avais jamais parlé de judéité dans mes films…
L'histoire de Goldman montre une identité d’un homme, et une identité plus collective aussi, l’identité juive, perçue non pas théologiquement ou de manière abstraite, mais dans son histoire récente.
Alors votre question, c'est "Est-ce que moi, je suis légitime à raconter cette histoire ?" Je pense qu'un réalisateur pas juif aurait pu faire un film sur Pierre Goldman ; je pense qu'un acteur non juif peut jouer Goldman.
Mais peut etre en effet que lors de la plaidoirie de Kiejman, je suis plus ému qu'un non juif et que Goldman débatte avec son passé rend la chose plus empathique pour moi.. Disons que ça me plaisait d'aborder la judéité pour la première fois dans mes films par Goldman, qui est un personnage très transgressif, très moderne sur la judéité.
Après, il se trouve que quand je suis devenu acteur par hasard, on m'a beaucoup appelé pour faire des rôles de juifs. Donc ça, déjà, c'est assez drôle dans ma vie.
C'est comme si j'avais été rattrapé par quelque chose que, finalement, je n'affichais pas… mais que je ne cache pas non plus.
Dans votre film, chaque acteur, même le moindre petit figurant semble avoir sa vraie importance...
Ah oui, tout à fait, j'avais l'exigence absolue d’obtenir des figurants pour chaque plan sur toute la durée au lieu des trois jours habituels. C’est important, pour un procès, que l’auditoire soit vraiment présent, même hors cadre, la voix de la personne qui est à la barre n’a pas la même couleur, même le silence est différent.
En dérushant ensemble avec mon monteur Yann Dedet , nous avons été très attentifs à l’écoute : si telle phrase est dite in, est-elle mieux entendue que off ?
J’ai pris des décisions à l’oreille, dès le tournage, car parfois une réplique me semblait trop lente ou trop rapide. Au tournage, j’ai laissé la salle d’audience réagir librement, à deux ou trois exceptions près ; ces réactions m’ont permis de mieux sentir le jeu des acteurs.
Le choix de ce format 4/3 qui enserre les personnages dans le cadre du tribunal, il était prévu des le départ?
Oui oui, très vite, il faut dire que j'adore ce format, et si j'avais pu j'aurais tourné tous mes films en 4/3. Je voulais faire un film qui ressemble à des archives de l'INA.
Il fallait donc utiliser de longs zooms, pour donner un peu l'impression de voler la parole des personnages avec l'idée qu'on des sortes de spectateurs très privilégiés puisqu'en France on ne peut pas filmer les proces en France sauf exception. Car dans le film, on est vraiment au ras de la parole ; on s'est vraiment mis à servir de la parole.
J'avais enfin d'aller dans l'épure, le retranchement à rebours du gavage d'information qu'on a actuellement, j'avais envie d'enlever les couches habituelles qu'on voit dans les films lambda, mais c'était une vrai difficulté technique sur pas mal de plans.
Et concernant le travail de montage; quelle difficulté cela impose dans un film comme celui ci ?
C'est pas la même difficulté. Il y a toujours une difficulté au montage. Parfois c'est parce qu'on n'a pas assez de matériel, ici plutôt parce qu'on en avait trop.
C'est assez amusant, votre question me fait penser à une remarque que me faisait Yann Dedet le monteur : « quand j'ai trois plans, je ne manque de rien, mais quand j'en ai quarante, il me manque toujours quelque chose »
Et c'est vrai qu'on passait des heures à chercher un visage, un petit bout sur un avocat général en écoute… Donc le travail de montage n'était pas difficile, mais particulier dans le sens où j'ai vécu le tournage plutôt comme une sorte de captation : il fallait saisir les choses presque comme un direct sportif. Le montage était aussi une étape de mise en scène : il fallait faire des choix.
Plus que jamais, sur ce film-ci, le cinéma m’apparaît comme de la sculpture, en deux étapes : on condense quatre jours de procès en deux heures, après avoir réduit les 300 pages de documents en 40 pages de scénario.
C’est agréable d’avoir beaucoup de matière, mais plus il y en a, plus c’est ce qui manque qui nous saute aux yeux : malgré les 150 personnes à l’image, je cherche le type qui était assis derrière dans le plan précédent… Pour le montage, je laisse Yann partir devant, j’attends le moment où la matière va me parler.
Mais en toute modestie, je le trouve pas mal du tout ce montage, il tient vraiment sur un fil, celui de solliciter l'attention du spectacteur uniquement sur la parole pendant près de deux heure.
Dans le cas d'une captation omme on on voulu le faire, la mise en scène redémarre presque à zéro avec le montage.. Chercher, experimenter, ne jamais vraiment savoir, c'est ce qui me stimule plus dans ce travail !!
Le procès Goldman, Cédric Kahn sortie le 27 septembre 2023
Le film présenté ce lundi 11 septembre en avant première au Pathé Bellecour de Lyon