Critique - Le Consentement - Vanessa Filho
« Depuis tant d’années, mes rêves sont peuplés de meurtres et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence : prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre », écrivait Vanessa Springora en préambule du Consentement (Editions Grasset)
À l’annonce de cette adaptation à l’écran, on se demande comment les mots qui prennent à la gorge vont passer par les images. Tout apparaît comme plus violent et plus révoltant quand il s’agit de montrer une adaptation d’un récit sur écran : les images peuvent avoir une plus grande force de frappe. Vanessa Springora le dit elle-même : « il y a une frontalité des images, un choc que je n’ai pas pu creuser par les mots ». Sur un autre sujet, je ne peux m’empêcher de penser au choc du génocide des Tutsis décrit par Gaël Faye dans son Petit Pays puis adapté à l’écran en 2020 par Eric Barbier. Tout cela dans les yeux d’un enfant.
Dans le film, les termes sont clairement posés : les initiales tombent pour les vrais noms. G. est Gabriel Matzneff, V. est Vanessa. Il est clair que Vanessa Filho montre bien l’omertà autour de Vanessa Springora, autant dans sa famille avec une mère qui tente au début de retenir sa fille hors de cette mainmise avant d’intérioriser les mécanismes d’emprise et d’en devenir complice, notamment lorsque Vanessa tente de partir. Cette omertà systémique pullule dans le milieu littéraire, intellectuel qui accepte, accueille avec entrain et même bénit la pédocriminalité (sous caution d’une soi-disant inspiration littéraire). En ce qui concerne l’interprétation, Kim Higelin (plus âgée que Vanessa dans le film) est bouleversante et l’écart d’âge avec Jean-Paul Rouve qui campe un Matzneff effrayant, dérange.
Néanmoins, un point noir provoque un grand malaise : les scènes de sexe sont d’une violence inouie et en viennent à être insupportables à regarder. La colère monte rien qu’en écrivant ces lignes… Comment représenter de telles scènes en 2023 ? Le choc est tel que plusieurs spectateurs.trices sont sorti.e.s en pleurs de la salle. La cinéaste Vanessa Filho évoquait la nécessité de montrer l’emprise physique et les émotions de Vanessa Springora. Or, cette emprise est déjà montrée hors de ces scènes et ces dernières, très nombreuses, ont tendance à emporter tout le propos du film.
Ce parti pris n’est que le résultat d’un processus de fabrication suivie de près par l’autrice parce que la réalisatrice ne voulait trahir son récit et son récit. Mais derrière, la volonté d’aller au-delà de l’histoire individuelle se perd totalement et au contraire, va à mon sens, jusqu’à érotiser certains comportements de domination.
D’autres réalisatrices ont réussi à dénoncer la violence et l'emprise physique sans scène de sexe : je citerai Les Chatouilles d’Andréa Bescond, au début une pièce de théâtre devenu film, qui utilise le contre-champ au moment de ses scènes et le rapport au corps de la protagoniste, Odette pour évoquer l’emprise.
Nous en sommes conscients, il arrive que le cinéma réveille davantage de consciences par rapport à la littérature. Il ne s’agit pas de dénoncer le fait de montrer ; au contraire, cette démarche va dans le sens de démonter et dénoncer à une plus grande échelle, la pédocriminalité et le déni sociétal. Mais peu sure que l’extrême violence, nécessaire pour certains, soit positif pour ledit message…
Crédits photo : SND Films
Le Consentement
Réalisé par Vanessa Filho / Avec Laetitia Casta, Kim Higelin, Jean-Paul Rouve,..
Film vu en ouverture de la 3ème édition du Festival du film féministe le 11 octobre 2023.
Jade SAUVANET