[Rentrée littéraire] Camera obscura de Gwenaëlle Lenoir
"Je fais taire Najma et Jamil, je les rends muets et sourds, je ne leur apprends pas les mots que le président n'aime pas. Ces mots-là, je les garde pour moi, je les ai enfermés dans ma tête, je leur ai interdit ma langue, ils se cognent contre les parois de mon cerveau, ils n'ont pas le droit de sortir, ils crient à l'intérieur. Pourtant, ces mots-là sont chantés sur les places des villes et des villages."
Pour son premier roman, Camera obscura la grande reporter Gwenaëlle Lenoir précise dans un préambule à ses lecteurs la chose suivante :
Ce livre est un roman dans le personnage principal est réel. Ce photographe existe et vit caché quelque part en Europe. Son nom de code est César. Les atrocités décrites sont avérées, les faits sont documentés, mais sa voix est la mienne.
Le personnage principal de Camera obscura est photographe dans un hôpital militaire dans un pays dont le nom ne sera jamais dit (mais on devine qu’il s’agit de la Syrie ). La police secrète surveille tout le temps, le personnage principal se méfie autant de son gardien d’immeuble que de ses collègues mais il accepte cette réalité. Sa vie bascule le jour où il voit arriver les premiers corps suppliciés à la morgue.
Sans se poser la question de la résistance face à l’horreur, il décide de garder en mémoire les noms de ces morts pour garder une preuve. Tous ces jeunes gens torturés, tués, roués de coups qu’il voit arriver, ils sont désignés par le Président, par son entourage, par les fonctionnaires à son service, comme des « terroristes ».
Toute opposition devient terrorisme dans le vocable de cette dictature où les enfants chantent dans les écoles des chants à la gloire du président.
Gwenaëlle Lenoir fait paraître son premier roman, “Camera obscura”. ©Charlotte Krebs/Éditions Julliard
Camera obscura, qui désigne en photographie cette boîte obscure dans laquelle on place l’œil et qui permet d’obtenir une image nette d’un objet que l’on désire reproduire, montre avec justesse comment l’acte de résistance chez cet homme est faite d’un premier pas puis d’un autre, quel est un cheminement, comment il passe jour après jour du silence lâche à la colère et au courage, comment il marche en équilibre sur un fil face au danger d’être dénoncé et face à la folie qui le guette
.Camera obscura entre dans l’intimité du narrateur, les plis et replis de son esprit et de ses peurs. Un roman dur mais d'une puissance indéniable !
Camera obscura de Gwenaëlle Lenoir (Julliard), en librairie depuis le 4 janvier 2024,