Commençons cette semaine où nous allons pas mal parler cinéma en salles- quelques chroniques de films à rattraper dans la dernière ligne droite de l'année- avec une formidable comédie française qui sort mercredi prochain dans les salles et que je ne peux que vous conseiller.
Il s'agit du Voyage au Groenland, le nouveau film de Sébastien Betbeder qui avait enthousiasmé la sélection ACID lors du dernier festival de Cannes.
Sébastien Betbeder, c'est le réalisateur quasi inconnu en 2013, qui avait surpris tout son monde dont votre humble serviteur avec 2 AUTOMNES 3 HIVERS, un film épatant par son ton à la fois mélancolique et pétillant.
En 2014, avec son court métrage Inupiluk, Sébastien Betbeder racontait les prémisses de ce long métrage, avec la rencontre fortuite entre Thomas et Thomas, deux citadins, et Ole et Adam, deux Groenlandais venus découvrir la France.Inupiluk, était le premier volet d’une trilogie groenlandaise. Suivront un autre court Le film que nous tournerons au Groenland et enfin ce Voyage au Groenland,qui boucle la boucle en sortant sur nos écrans ce 30 novembre et qu'on peut voir totalement sans avoir vu les deux moyens métrages préalablement.
Le voyage au Groenland, c'est un peu l'esprit de "Voyage en terre inconnue", mais avec bien plus de finesse et moins de sentationnalisme que dans l'émission de Frédéric Lopez: le décalage culturel entre nos deux sympathiques loosers parisiens, intermittents qui ont du mal à enquiller les cachets à Paris- toutes les scènes de flash backs sur leurs galères de comédiens sont hilarantes- n'est jamais peint à gros traits , et du coup parait toujours crédible, contrairement à l'émission précitée ou toutes ces comédies basées sur ces divergences entre deux univers opposés.
Derrière la caméra de Betbeder, même quand les peuples sont séparés par les kilomètres des langues et des cultures différentes, le rapprochement est possible, au détour d'un rire, d'une chanson, d'un regard complice, et Betbeder ne sacrifie jamais cette évidence à l'efficacité d'un gag ou d'une punchline comique.
Le film ne fait pas l'économie de sujets de sociétés sur le Groenland ( l'exode de jeunes Inuits pour les grandes villes du à l’accès à Internet et aux réseaux sociaux, les ravages de l'alcool) mais cette analyse n'est jamais faite de manière démonstrative, car toujours abordée au détour d'une discussion ou d'une séquence a priori légère..
Il y aura bien quelques accrocs,ici et là, dans le périple initiatique de nos deux Thomas, mais ceux ci seront bien moins importants que la rencontre avec ce peuple inuit que le cinéma a peu l'occasion de nous montrer et ce voyage si particulier aura même l'intérêt pour eux d'interroger leur vieille amitié et qui sait de retrouver un peu de sens à leur vie..
Car ces deux doux rêveurs, un peu glandeurs, sans grande ambition dans leurs vies parisiennes vont être confrontés à des conditions rudes et face à l'immensité de ces paysages de banquises- superbement filmés par Betbeder- vont mine de rien prendre conscience qu'il faut grandir à un moment ou à un autre de leur existence, et qui sait quitter cette adulescence qui est tellement confortable.
Un choc des cultures qui se fait toujours dans le respect des uns et des autres et une immersion bienveillante vers l’autre, dans son quotidien, ses joies et ses difficultés qui prête, soit à sourire (ah cette scène géniale de la comparaison entre Pole emploi et la chasse aux phoques) soit à être d'humeur moins badine (au détour d'une chanson de Mouloudji, que le génial François Chattot chante à ses hôtes avec une mélancolie au coin des yeux).
Sebastien Betbeder avait imposé le genre de mélancomédie avec son sublime "2 automnes 3 hivers, il l'affirme ici dans cette comédie, où la mélancolie n'est jamais très loin, que ce soit par la voix off de Thomas Blanchard qui met un peu de distance et de nostalgie dans son récit, ou bien par les quelques notes envoutantes et émouvantes du compositeur de musique électronique Minizza
Et évidemment la réussite du film doit beaucoup à son duo de Thomas, que ce soir Thomas Blanchard découvert cette année dans l’excellent « Préjudice » d’Antoine Cuypers,qui prouve sa faculté à changer totalement de registre dans ce rôle qu'unVincent Macaigne n'aurait pas renié et son meilleur ami Thomas Scimeca moins lunaire, mais très drôle et finalement touchant également.
En résumé on peut dire qu'avec ce Voyage au Groeland, Sebastien Betbeder réussit une savoureuse comédie faite de décalages et de surprises qui pourrait bien bousculer quelque peu le paysage quelque peu trop balisé de la comédie française.
EXTRAIT - LE VOYAGE AU GROENLAND de Sébastien Betbeder (ACID CANNES 2016)
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