Génial François Mallet, qui décloisonne le tabou de la bipolarité par les fous rires – Comédie des 3 Bornes (Paris)
Le corps se déploie de manière fluide, jusqu’à toucher du bout le premier rang. Sur la scène très intimiste de la Comédie des Trois Bornes, François Mallet apparaît avec une question posée par son psy et qu’on peut se poser à tous.tes : « est-ce que ça va ? ».
Une interrogation existentielle qui nécessite de se retourner en arrière. Si l’humoriste semble en adéquation avec son corps, c’est sûrement en raison de sa première vie en tant que patineur artistique. François nous raconte les entraînements éreintants, les commentaires bienveillants de ses entraîneurs (c’est bien connu, descendre une personne lui permettrait de s’améliorer…).
En pleine révision du théorème de Pythagore, le petit François s’étire et reproduit les mouvements pour un concours le soir devant cinq ou six juges, avec du public dans les tribunes. La vie sociale est inenvisageable, les seules interactions avec ses camarades se résument à des commentaires homophobes sur sa passion de ce sport. Reproduction des figures à l’infini, est-ce possible ? Il répète, répète jusqu’à ce que la boucle éclate. François tombe à terre. Dépression. Une première appréhension de la scène marquante…
Cette dernière revient sous une autre forme : en 2017, il commence le théâtre à la sortie d’études de journalisme, avec des ateliers de comédies et les concours tremplin d’humour de Lyon. L’émotion le porte et lui permet de se dévoiler intimement.
C’est la volonté de Heureux soient les fêlés, deuxième version de Follement sensible et poétique référence à Michel Audiard. Ici, François Mallet aborde comme fil rouge, sa bipolarité et décide d’en rire pour mieux arrêter le stigmate envers ce trouble. Il nous raconte comment zouker à 4 heures de matin en passant l’aspirateur, ses rencontres avec différents spécialistes, de son psychiatre avec qui le transfert s’opère immédiatement (pour la précision, le transfert en psychanalyse est la projection de sentiments ou de désirs de la personne en analyse sur une tierce personne, celle-ci étant généralement son analyste) ou une psychothérapeute dont les ondes énergétiques sont courtes mais intenses (et coûtent 150€). L’humoriste revient sur ses hospitalisations multiples, ce qui lui a permis, dit-il, de faire un tableau comparatif (ou un brainstorm comme dirait la start-up nation) entre l’hôpital public et les cliniques.
Un sujet peu abordé par le prisme artistique et culturel. L’écrivaine Treize avait témoigné dans son récit Charge des 10 ans passés au « pays psychiatrie » avec la volonté de libérer la parole sur ce qui se passait au sein de ces murs : un pays qui, selon l’autrice, se révèle « impasse », voire « chemin sans fin, sans fond, et dont on ne ressort pas ».
Les dynamiques de pouvoir y sont lois, avec au sommet de la pyramide, les psychiatres tout-puissants règnent en maîtres sur les infirmières et divers agents – mais surtout sur leurs patients et patientes.
Parler de la bipolarité et santé mentale dans une époque où le tabou tombe peu à peu, c’est aussi relire son passé. Il est clair si autant de personnes viennent à se tourner vers la thérapie, c’est parce que les générations d’avant n’ont pas assez pris en charge leur santé mentale, quitte à tout projeter sur leur progéniture.
La preuve en chiffres : selon la fondation FondaMental, les jeunes de 18 à 24 ans se seraient donc rendus depuis 3 ans plus souvent chez les psychiatres et les psychologues. Les premiers constatent une hausse de 50% des rendez-vous en trois ans. Pendant ce temps-là, son père agriculteur était occupé à poursuivre les vaches avec son tracteur, dit-il.
Parce que la figure de son père a toute son importance dans la construction de son identité et sa thérapie. Entendra-t-il un « je suis fier de toi mon fils » ? François aborde son homosexualité et se revendique être gay et“beauf”, pas encore tout à fait déconstruit aux yeux de son copain.
Un gay beauf qui s’est glissé dans la peau d’une « crevette pailletée » (on laisse planer le mystère de quelle crevette on parle).
Quand les mots ne suffisent plus, le corps prend le relai lors d’instants de danse, symbole de sa première partie de vie qui insuffle de la poésie comme une ambiance de folie avec la bande-originale de Flashdanse.
L’humoriste s’adresse directement au public, favorisé par la taille de la salle, ce qui provoque un shot de bien-être, rien qu’en interpellant les différents rires de la Comédie des 3 Bornes. François Mallet passe une étape dans le décloisonnement du tabou de la santé mentale.
Ce triptyque de l’identité provoquant fous-rire comme montée de larmes est hydride et à absolument ne pas rater !
Crédits photos : Alan Raymond
Heureux soient les fêlés
Écrit et interprété par François Mallet,
Mise en scène par Quentin Amiot et Maxime Boissier.
Tous les vendredis à 19h30
La Comédie des 3 Bornes,
jusqu’au 28 juin 2024.