Manele Labidi, réalisatrice de Reine-mère :"Je ne voulais pas faire un film délicat"
La réalisatrice franco-tunisienne Manele Labidi aborde sans tabou des sujets forts dans "Reine mère", un second long-métrage solaire et revigorant, à voir au cinéma depuis ce mercredi.
On avait rencontré sur Lyon la réalisatrice quelques semaines avant la sortie en salles du film, l'occasion pour échanger avec elle sur l'origine de son second long métrage qui aborde sans garde fou certaines "questions qui fâchent".
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"Je voulais raconter cette histoire, celle de mon enfance, et en même temps je m’y refusais. Quand je suis devenue mère, je n’ai plus pu échapper à l’obligation de revisiter mon enfance. Ça a commencé à bouger dans ma tête en partageant nos souvenirs avec mes sœurs et mes cousines. On en est venues à parler de Charles Martel, et on s’est aperçu qu’on avait toutes était confrontées à la même histoire, et qu’on avait toutes réagi de la même façon. La honte d’être nous-mêmes, d’être arabes.
Pour moi le cinéma est un instrument qui me permet de produire mon propre récit, de produire des images qui m’ont manqué, qui manquent toujours. Certes, je pars du réel, mais il y a quelque chose presque de l’alchimie de partir du réel, du trauma, de la souffrance, de la violence, et de les transformer grâce au cinéma."
"J’ai grandi avec Le Pen père. Pour moi, c’était le grand méchant loup. C’était la France aux Français. Le racisme comme ça a été violent. Et on était dans une époque où ce malaise, on ne pouvait pas le partager avec nos parents parce que pour eux, c’était t’avances droite, et tu y arriveras. Le malaise, je le ressentais dans le corps, mais en étant dans l’incapacité de le formuler.
Donc quand je parle de réparation aujourd’hui, elle intervient grâce au cinéma. Sauf que j’ai l’impression que j’ai fait ce film pour aussi revenir en arrière. Un peu comme si c’était une machine à voyager dans le temps qui me permet de revenir voir la petite fille que j’étais. Le cinéma est un outil magique qui me donne aussi une arme et cette arme, c’est Charles Martel dans un imaginaire de petite fille. C’est une transgression au réel. »
"Le moment où on m’apprend que Charles Martel repousse les Arabes à Poitiers, pour moi c’est un moment fondateur. C’est le moment où je me suis rendue compte que j’étais Arabe, et que ça allait être chaud. J’ai compris qu’une histoire était racontée sur nous, sur laquelle je n’avais aucune maitrise, et dont tout ce que je savais, c’est qu’elle n’était pas valorisante. Mais moi-même, j’étais piégée dans un narratif, celui du gars qui avait repoussé une invasion, mais je me suis rendue compte que Martel lui-même était prisonnier de ce narratif !
C’est alors devenu un complice pour mon héroïne, et pour parler du racisme, sans en faire un film de discours, mais à travers le cinéma de genre.
Un couple de parents plus romanesque que naturaliste
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"Je vois bien que la distance que peut créer un traitement naturaliste s’efface quand on y met du romanesque. Ce ne sont pas juste “les parents immigrés”, ce sont Amor et Amel. Ce basculement dans l’universel est presque une transgression, il faut le justifier. On m’a dit en lecture : “Oh, le personnage d’Amel est insupportable, il crache dans la soupe. "
Mais pourquoi devrait-elle être tout le temps être sympathique ? Est-ce que le personnage immigré doit être parfait pour qu’on puisse l’aimer ? J’ai eu l’impression que sortir des archétypes, ça gène. Ça m’a renvoyé aux attentes que l’on peut avoir pour quelqu’un comme moi.
J’ai bien conscience que la forme de mon film n’est pas une forme bourgeoise. Souvent avec les films qui traitent d’immigration, on dit d’eux, comme une chose positive, qu’ils sont plein de délicatesse. Moi, je ne voulais pas faire un film plein de délicatesse, comme on dit parfois devant un film, je voulais un film mal élevé."
Merci au Cinémas Lumière de Lyon
Merci à Diaphana distribution